Activiste au cuir tanné, Walt Shubin, 85 ans, qui cultive du raisin à Kerman, dans le centre de la Californie, résume un système vicié: «On prend plus d'eau qu'il n'en rentre. S'ils continuent à tout sucer, il n'y aura plus rien ici.» Gene Rose, journaliste de 88 ans, explique, dépité : «Depuis près d'un siècle, la Californie a vécu dans un rêve d'eau. On a bâti le plus grand système de distribution au monde : barrages, canaux, aqueducs… En pensant qu'il y aurait toujours plus d'eau à prendre. Mais aujourd'hui, la situation est critique.» Quand il est né, la Californie comptait 8 millions d'habitants. Ils sont aujourd'hui cinq fois plus : la population augmente, la ressource diminue. «Les gens doivent réaliser que nous sommes entrés dans une nouvelle ère», martèle le gouverneur Jerry Brown, qui a imposé de sévères restrictions, le 12 juin: les municipalités doivent réduire leur consommation de 4 % à 36 % selon les endroits. Les Californiens ont, en mai, diminué leur utilisation d'eau en zone urbaine de 28,9 %. Mais les agriculteurs, qui pompent 80 % de la ressource (lire page 4), contestent les restrictions en justice : en Californie, l'eau a toujours été source de conflits. «Le whisky, c'est pour boire. L'eau, c'est pour les batailles», disait déjà Mark Twain. Et cette bataille semble mal partie alors que, pour sa quatrième année consécutive de sécheresse, la Californie voit vaciller son modèle de croissance fondé sur une utilisation sans limite de l'eau.
Que disent les indicateurs ?
Tous les signaux sont au rouge. 94 % du territoire subit une grave sécheresse. La neige était, début mai, à 2 % de son niveau habituel. Or c'est elle qui sert de «compte épargne», assurant un tiers des besoins en eau. Dès mars, un scientifique de la Nasa, Jay Famiglietti, jugeait la Californie «au bord du gouffre». Le système d'irrigation en surface n'a qu'un an de réserve, les agriculteurs siphonnent les nappes phréatiques de façon «excessive et non durable». Et l'Etat n'est pas prêt, «à part rester en mode d'urgence et prier pour la pluie».
A quoi est due la sécheresse ?
Pas au réchauffement climatique, selon une étude controversée de la NAOO (National Oceanic and Atmospheric Administration) de décembre 2014. L'agence fédérale incrimine des «données océanographiques et atmosphériques» : la montée de la température de l'eau de mer, associée à des hautes pressions sur la Côte ouest, a empêché les tempêtes d'atteindre la terre. Avis contredit par des chercheurs de Stanford : pour eux, c'est l'augmentation des températures qui réduit l'apport de neige et favorise l'évaporation des sols et des plantes. Au-delà des controverses, une prédiction : cette sécheresse, la pire depuis 1 200 ans selon l'American Geophysical Union, va durer.
Pourquoi ne contrôle-t-on pas mieux l’irrigation ?
Le système est une machine folle : selon une étude de l'université UC Davis d'août 2014, les autorités ont alloué cinq fois plus d'eau que les réserves disponibles. Les prélèvements réels restent inconnus, faute de contrôle, l'Etat manquant de moyens et de volonté face aux agriculteurs. Ceux-ci sont inégalement traités, selon l'adage «premiers arrivés, premiers servis» : ceux arrivés avant 1914, année où l'Etat a mis en place des permis, ont des droits dit «seniors», les autres ne sont que «juniors». Et les riverains peuvent prélever de l'eau à volonté si un canal passe à proximité.
Pourquoi peut-on pomper comme on veut ?
N'importe qui peut construire un puits sur sa propriété, et tant pis si ça épuise la réserve du voisin. Ce n'est que le 1er janvier dernier que l'Etat s'est doté d'une loi pour gérer les ressources phréatiques. Mais tout est à faire : il faut créer des agences idoines et les premiers plans de prévention ne sont prévus qu'à l'horizon 2022. Objectif ? Atteindre un équilibre durable vers 2042. «A cette date, il n'y aura peut-être plus d'eau du tout», ironise Famiglietti.
Quelles sont les solutions ?
Les agriculteurs et leurs - nombreux - relais politiques plaident pour des investissements massifs dans de nouveaux barrages et réservoirs. Problème : s'il n'y a pas d'eau ? «En novembre, les Californiens ont approuvé par référendum un nouveau plan d'investissement massif portant sur 7,5 milliards de dollars, raconte Gene Rose. Mais ce dont on a besoin, c'est de pluie et de neige, pas de nouveaux réservoirs qui ne mènent nulle part.» Tout le système devrait être repensé à l'échelle de l'Ouest américain. Barack Obama a bien ordonné des études sur l'impact du réchauffement, mais aucune décision n'est prise. Et toute nouvelle construction nécessiterait des dizaines de milliards d'investissements. Il faudrait donc plutôt s'orienter vers une irrigation moins dispendieuse, le recyclage, voire la désalinisation.