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Libération
Edito

Casque à pointe ?

Rarement on aura assisté, dans la longue histoire de l’Union, à une telle débauche de clichés chauvins, d’anathèmes inconsistants et d’incohérences politiques.
Angela Merkel, au Bundestag, à Berlin, le 17 juillet. (Photo Tobias Schwarz. AFP)
publié le 19 juillet 2015 à 19h26

Il y a derrière la crise grecque une deuxième crise qui risque d’empoisonner le nécessaire débat sur l’avenir de l’Europe : la crise de la rationalité. Rarement on aura assisté, dans la longue histoire de l’Union, à une telle débauche de clichés chauvins, d’anathèmes inconsistants et d’incohérences politiques.

La première confusion concerne l'Allemagne. Jean-Luc Mélenchon l'a accusée de s'être mise à la tête des «pays de l'Axe», dans une allusion très claire au nazisme, assimilant de manière scandaleuse une nation démocratique à la pire dictature qu'on ait connue. L'hebdomadaire Marianne, qui fait rarement dans la nuance, a affublé Angela Merkel d'un casque à pointe, en souvenir de l'empereur Guillaume II, comme si la chancelière s'apprêtait à envahir la France. Alors qu'elle a finalement joué la carte de l'unité européenne face aux faucons de son propre parti.

Il est vrai que la Grèce a dû faire face à un «diktat», comme l'écrit Dominique Strauss-Kahn, revenu des alcôves pour occuper les tribunes avec une pertinence certaine. Mais c'est un diktat européen et non germanique. On impute aux seuls dirigeants allemands une position qui était celle, en fait, de la majorité des gouvernements de l'Union. Position trop dure, à coup sûr, qui humilie la Grèce, soumet son peuple à de nouvelles souffrances, et impose une politique d'austérité dont les résultats, à en juger par l'expérience passée, sont tout sauf assurés. Mais cette fermeté reflète surtout les sentiments des opinions de nombreux pays en Europe, qui préféreraient exclure la Grèce de la zone euro plutôt que de financer une nouvelle fois un pays en qui ils n'ont plus confiance. Cet égoïsme de rentier avaricieux est condamnable. Mais c'est lui qui explique le diktat et non on ne sait quelle volonté impérialiste de la classe politique allemande. A Berlin, on est plus proche d'Harpagon que de Bismarck…

S’agit-il d’un échec pour l’Europe ? Là encore les diagnostics à l’emporte-pièce ont remplacé l’analyse du réel. Que n’aurait-on pas dit si le «Grexit» s’était imposé ? Quels réquisitoires sur l’Europe «impuissante» ou «éclatée» n’aurait-on pas entendus ? La vérité, c’est que dans des circonstances dramatiques, l’Union a fini par trouver une solution - très imparfaite - à la crise. Dans la tempête, elle a résisté. La Grèce se voit prescrire une médication cruelle. Mais elle recevra, en échange, une aide qui portera à deux fois son PIB le montant des crédits qu’on lui a accordés. Une paille… Elle obtiendra aussi une restructuration de sa dette, qui devrait alléger le poids des remboursements. Le diktat, en fait, n’est pas à sens unique. Les Européens doivent maintenant admettre que, sans croissance, Athènes n’arrivera pas à sortir de l’impasse. Ce qui suppose un assouplissement - toujours possible - des conditions exigées par l’Union.

François Hollande a suivi une ligne claire - pas de «Grexit». Il l'a emporté contre la majorité des Européens. Il peut pousser les feux vers une unification plus nette du continent, qui passe par la constitution d'une «avant-garde» européenne, comme il l'a expliqué dans le Journal du Dimanche. Concept delorien, cette Europe du «noyau central» - Allemagne, France et Italie - est une bonne manière de sortir par le haut de la crise grecque.

Les souverainistes, enfin, se récrient. Eux aussi, plutôt que de s’en tenir à des éructations, pourraient s’essayer à réfléchir. Au pied du mur, Aléxis Tsípras, le plus critique envers l’Europe, celui dont les souverainistes avaient fait leur héros, a préféré finalement rester dans l’euro au nom des intérêts supérieurs de son pays. Est-il devenu fou ? Ou bien, confronté non à ses rêves mais à la réalité, a-t-il réalisé que son salut était dans l’Union et non en dehors ? La leçon doit être méditée.