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Libération
Reportage

La Grèce à l'épreuve du feu

Quel avenir pour la Grèce ?dossier
Résignée, la population d'Athènes subit en même temps des incendies gigantesques et les premières mesures exigées par les créanciers.
Des habitants de Neapoli, en Laconie, tentent d'éteindre un incendie, le 17 juillet. (Photo Eurokinissi. Reuters)
publié le 19 juillet 2015 à 16h13

«Nous avons été épargnées et c'est un miracle divin», murmure une vieille religieuse en servant une petite assiette de fruits confits dans l'enceinte du couvent de Saint-Jean-Prodrome. Sur les hauteurs du mont Hymette, c'est une enclave fleurie, avec ses bâtiments en pierre de taille, typique de l'architecture orthodoxe des Balkans. Le «miracle» se mesure au premier coup d'œil : tout autour du couvent, les silhouettes calcinées des arbres se découpent sur le bleu intense du ciel. Le feu a même léché les murs du couvent, contraignant la cinquantaine de nonnes à fuir les lieux vendredi. Le soir même, elles étaient de retour. Et, depuis, n'en finissent plus d'évaluer l'ampleur des dégâts dans ce paysage carbonisé. «On a retrouvé des tortues brûlées», constate la religieuse, le visage dissimulé derrière un masque de protection contre les cendres qui continuent de tomber sur cette zone boisée d'Athènes.

Vendredi, comme ce week-end, les pompiers étaient sur tous les fronts en Grèce : dans la région d’Athènes, mais aussi en Laconie (sud-ouest du Péloponnèse), sur l’île d’Eubée, celle de Skyros, celle de Zakinthos. En tout, près de 80 foyers se sont soudain embrasés, rappelant les sinistres souvenirs des feux qui avaient brûlé la moitié de la Grèce en 2007, faisant des dizaines de victimes. A posteriori, ce gigantesque incendie avait symbolisé la fin d’une époque aux yeux des Grecs : celle de l’âge d’or des deux décennies passées, quand la Grèce semblait promise à un avenir radieux, avec des taux de croissance prometteurs, l’enrichissement – apparemment sans fin – de la classe moyenne, qui ne voyait pas encore que les crédits généreux accordés à l’économie allaient brutalement partir en fumée et contraindre le pays à une longue cure d’austérité d’une violence inédite en Europe.

Futurs malheurs

En Grèce, bien sûr, les incendies sont fréquents. Surtout l’été, avec un thermomètre qui dépasse les 30 degrés, lorsque les vents soufflent avec force, comme ce fut le cas à partir de vendredi. Mais comment ne pas voir le signe du destin, quand la Grèce s’enflamme à nouveau, simultanément, en tant de lieux différents, alors que le pays se trouve à nouveau confronté aux plus sombres perspectives ? Comment ne pas interpréter comme le signe de futurs malheurs cette coïncidence palpable vendredi sur tous les écrans télés ? Lesquels diffusaient, sur plusieurs lucarnes différentes, les images d’habitants tentant d’aider avec de simples seaux des pompiers débordés, ou de touristes enfermés dans un car noyé dans la fumée, alors qu’un vieil hélicoptère frôlait le crash au-dessus des flammes.

Et puis, il y avait aussi cette dernière fenêtre sur tous les écrans, présentant le nouveau gouvernement formé vendredi, en fin d’après-midi. Celui qui devra assumer la mise en place de l’accord imposé, le 14 juillet à l’aube, au Premier ministre Aléxis Tsípras, après plus de dix-sept heures de négociations, au sein de l’Eurogroupe, à Bruxelles. Egrenés un à un par un commentateur, les noms des nouveaux ministres semblaient aussitôt emportés par le vent qui sifflait dans le micro. Tsípras a écarté tous les ministres frondeurs, ceux les plus à gauche, pour les remplacer par les rares candidats prêts à assumer, à ses côtés, la mise en place d’une nouvelle politique d’austérité qui réduit à l’état de cendres les rêves d’une «autre politique», promise en janvier par le premier gouvernement antiaustérité jamais élu en Europe. Tsípras s’est battu pendant six mois mais il a finalement perdu la guerre contre ses créanciers, à commencer par l’Allemagne, qui ne voulaient pas de politique alternative : c’est l’idée unanimement répandue en Grèce, avec un fatalisme triste. Car le vent qui souffle sur Athènes ces jours-ci n’est pas celui de la colère, mais de la résignation.

«Dernières illusions»

«C'était une oasis, il n'y a plus que des cendres ici», soupire Angelos Kovaios, le patron de la taverne Un balcon sur les Cyclades, sans qu'on sache s'il parle d'un pays qui se noie ou du paysage calciné qui l'entoure à Karea, l'un des quartiers au cœur des flammes vendredi, sur les hauteurs du mont Hymette. Il a eu de la chance. Seuls ses entrepôts ont brûlé, mais tout autour le noir domine. Pas seulement dans le décor. Première des mesures exigées par les créanciers, la TVA sur la restauration passe à 23% dès ce lundi. Et ce n'est pas la réouverture des banques, le même jour, qui va rassurer Angelos. Comme tous ses compatriotes, il s'attend à des années noires. «Je vais devoir augmenter les prix des plats, j'aurais donc moins de clients et moins de recettes, qui occasionneront à terme moins de rentrées dans les caisses de l'Etat», énumère-t-il avec tristesse. «De Karea à Argiroupoli, les quartiers d'Athènes qui ont brûlé ce week-end sont ceux de cette classe moyenne qui avait émergé au début des années 90. Leurs dernières illusions partent en fumée», constate de son côté l'analyste politique Georges Seferzis. L'été grec aura définitivement un goût de cendres cette année.