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Libération
Interview

Nucléaire «L’Iran sponsorise toujours la terreur»

Amos Yadlin, ex-major général israélien ayant bombardé un site atomique irakien, en 1981, analyse les conséquences du traité de Vienne, signé le 14 juillet.
A Bagdad, une affiche montrant le guide Ali Khamenei et un lieu saint à Jérusalem. Le régime iranien exporte son entreprise de propagande à l’étranger. Au-dessus du bâtiment, des soldats irakiens. (Photo A. al-Rubaye. AFP)
publié le 19 juillet 2015 à 19h16

Lorsqu’il était pilote de chasse, l’ex-major général israélien Amos Yadlin (64 ans) a participé au bombardement et à la destruction d’Osirak (1981), le réacteur nucléaire offert par la France à l’Irak de Saddam Hussein. Mais ces frappes parfaitement ciblées n’avaient retardé, selon les experts, que de deux ou trois années les projets nucléaires de l’Irak et ses tentatives, jamais abouties, de se doter de la bombe.

(Photo Gil Cohen Magen. Reuters)

Vingt-cinq ans plus tard, Amos Yadlin a, en tant que chef des renseignements militaires israéliens (Aman) entre 2006 et 2010, été impliqué dans les opérations de sabotage lancées par son pays pour empêcher Téhéran de se doter de l’arme nucléaire. A la tête de l’Institut des études stratégiques nationales de l’université de Tel-Aviv (INSS), l’un des think tanks israéliens les plus influents en matière de sécurité, il pourrait devenir ministre de la Défense, si le Parti travailliste devait rejoindre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, dans le cadre d’une «union nationale contre le danger iranien».

Il explique les conséquences, selon lui, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, signé mardi 14 juillet entre les «5+1» (l’Allemagne, l’Iran, et les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU).

De nombreux chroniqueurs israéliens évoquent une «catastrophe imminente» et parlent à nouveau d’«option militaire». Pourquoi ?

L’accord de Vienne est mauvais, car la période de dix ans, durant laquelle l’Iran est censé interrompre le développement de son potentiel nucléaire, s’écoulera très vite. De plus, le régime iranien sponsorise toujours la terreur sur l’ensemble du Moyen-Orient. Il soutient Bachar al-Assad, le Hezbollah, et prône la destruction d’Israël en niant la réalité de la Shoah. Comment voulez-vous que l’on réagisse autrement, puisque l’accord légitime cette attitude tout en permettant à Téhéran de retrouver ses assises financières, dont une partie sera utilisée contre nous ? Cela dit, ceux qui s’excitent ont tort. Parce qu’Israël est fort, très fort, et nous ne sommes pas à Munich en 1938. D’une manière ou d’une autre, nous saurons comment nous adapter à la nouvelle réalité régionale, et répondre à la menace iranienne.

Qu’entendez-vous par là ?

Au lieu de critiquer tout le temps, nous devrions discuter avec les Américains et les Européens pour trouver un terrain d’entente. Il faut identifier les dangers que contient cet accord - à commencer par les effets du probable non-respect par Téhéran de ses engagements - et y apporter des réponses. Etre prêts, en quelque sorte. Si l’Iran continue sur cette voie, malgré ces efforts, en vue de se doter d’une arme nucléaire, nous nous sentirons libres d’exercer notre droit à l’autodéfense. Mais nous n’en sommes pas à ce stade. Ma thèse, c’est que si personne ne peut prédire l’avenir, trois scénarios sont envisageables : le premier est celui d’une transformation inespérée du régime iranien qui, frappé par la grâce, respecterait sa parole et s’ouvrirait au monde pour se transformer en une sorte de Norvège moyen-orientale. C’est naïf et je n’y crois pas. Le deuxième scénario est l’inverse, c’est-à-dire le chaos : à l’instar de la Corée du Nord, il défierait l’opinion mondiale en enfreignant sciemment l’accord de Vienne pour provoquer des crises internationales à répétition. Dans ce cas, les Etats-Unis auraient évidemment un rôle de premier plan à jouer. Enfin, le troisième scénario envisage que l’Iran respecte l’accord de Vienne, tout en continuant à influer sur le Moyen-Orient, en soutenant de manière plus active le régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah, des organisations terroristes qui déstabilisent les pays sunnites de la région, etc. C’est sans doute ce qui va se passer.

Le Moyen-Orient sera donc encore plus compliqué et dangereux que celui d’aujourd’hui ?

Oui, car si les puissances qui ont négocié l’accord sur le nucléaire n’arrivent pas à convaincre l’Iran d’interrompre son action déstabilisatrice, la situation va se dégrader. L’idéal serait de négocier avec Téhéran un nouvel accord, lui empêchant de jouer ce rôle néfaste.

A vous entendre, Israël ne considère plus les pays arabes comme une menace. Seul l’Iran reste un ennemi dangereux à ses yeux…

Effectivement, le régime de Téhéran est considéré par Israël comme son ennemi numéro 1, mais ce n’est pas nouveau. Cela date de la conclusion des accords d’Oslo (1993) et de la normalisation avec la Jordanie (1994), lorsque Téhéran avait pris la tête du courant «faucon», hostile au processus de paix. L’accord de Vienne n’a rien changé, car l’Iran garde le même point de vue sur Israël et les mêmes alliés régionaux.

Le nucléaire iranien, ainsi que les guerres civiles en cours en Syrie, comme en Irak ou au Yémen, ont relégué la problématique palestinienne au deuxième plan. Avec quelles conséquences ?

Il faut être clair : l’idée selon laquelle la question de la Palestine serait centrale au Moyen-Orient est un mythe. En tout cas, elle n’est plus d’actualité depuis longtemps. Supposons qu’Israël conclue, par miracle, un accord de paix final avec les Palestiniens, dès demain matin. Et que ces derniers proclament aussitôt leur indépendance. Pensez-vous sérieusement que la guerre civile en Syrie va s’arrêter pour autant ? Que Daech va disparaître de la carte ? Que la Libye sera de nouveau unie ? Que l’Arabie Saoudite abandonnera l’idée de lancer elle aussi un programme nucléaire ? Je ne dis pas qu’il faut ignorer les Palestiniens, et je suis le premier à plaider en faveur de négociations débouchant sur une solution équilibrée, mais cessons de nous masquer les yeux : leur problème n’est pas lié à ce qui se passe aujourd’hui dans la région.

L’ennemi américain

Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a averti samedi, que malgré l'accord sur le nucléaire conclu avec les grandes puissances, son pays garderait la même attitude envers les Etats-Unis. «Notre politique ne changera pas face au gouvernement arrogant américain», a déclaré Ali Khamenei, à l'occasion de la prière pour l'Aïd al-Fitr, marquant la fin du jeûne musulman du ramadan, devant des milliers de personnes criant «mort à l'Amérique» et «mort à Israël». «Nous n'avons aucun dialogue avec les Etats-Unis sur les questions internationales, régionales ou bilatérales. Quelquefois, comme dans le cas nucléaire, nous avons négocié avec eux sur la base de nos intérêts», a-t-il souligné. L'ayatollah a aussi affirmé que l'Iran «ne renoncera pas à soutenir ses amis dans la région, les peuples opprimés de Palestine, du Yémen, de Bahreïn, les populations et les gouvernements syriens et irakiens, les combattants sincères de la résistance libanaise et palestinienne».