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Libération
Face-à-face

Etats-Unis-Cuba: deux ambassades, deux styles

Réouverts symboliquement ce lundi, les bâtiments de La Havane et de Washington témoignent par leur histoire des relations tourmentées entre les deux pays.
publié le 20 juillet 2015 à 19h38

Ce lundi 20 juillet est une date historique: pour la première fois depuis janvier 1961, les Etats-Unis ont une ambassade de plein droit à Cuba, et inversement, dans les mêmes bâtiments qu’il y a cinquante-quatre ans. A La Havane, la bannière étoilée sera hissée, en présence du secrétaire d’Etat John Kerry, le 14 août. A Washington, une forte délégation, emmenée par le ministre cubain des Affaires étrangères Bruno Rodriguez, a fêté la réouverture en déployant, assurent les officiels, le même drapeau qui avait été abaissé en 1961. Très dissemblables et représentatifs de leur époque, les deux bâtiments racontent un siècle d’histoire tumultueuse entre deux pays qui, le décembre 2014, ont annoncé la normalisation de leurs relations.

 L’ambassade de Cuba à Washington

Adresse: 2630, 16th Street, Washington D.C.

Inauguration: 1917. Architectes: cabinet McNeil & McNeil

Le manoir «de style français» a été construit en 1916, pour servir de légation (sous-ambassade) avant de devenir ambassade en 1923. L'inventaire des monuments historiques américain (National Register of Historic Places in the United States) le décrit comme «une des demeures les plus imposantes et énigmatiques» de la capitale fédérale.

Il témoigne d’une période d’opulence de l’économie à Cuba: la saccharocratie (les familles de planteurs qui contrôlaient l’industrie du sucre, et son exportation) avait amassé des fortunes colossales, et ses profits vont se multiplier dans les années suivantes, quand l’Europe se reconstruit après la première guerre mondiale. Cette période, qui s’achève avec le krach boursier de 1927, est appelée à Cuba «la danse des millions».

En 1958, le président pro-américain Fulgencio Batista nomme ambassadeur aux Etats-Unis son ministre des Travaux publics, l'architecte Nicolas Arroyo, qui redécore les espaces intérieurs et les remplit d'antiquités (meubles, tableaux) de grande valeur. A cette époque, le magazine The Diplomat décrit le bâtiment comme «une des résidences diplomatiques les plus belles de Washington».

En 1977, après être resté fermé seize ans, le palais rouvre en tant que «section des intérêts cubains». Les deux pays n'entretenant pas de relations diplomatiques, le bureau est juridiquement une dépendance de l'ambassade de Tchécoslovaquie. Lorsque ce pays disparaît en 1999, la Suisse prend le relais. En 1978 et 1979, le bâtiment sera la cible d'attentats à l'explosif de la part des mouvements extrémistes d'exilés cubains.

L’ambassade des Etats-Unis à La Havane

Adresse: Calzada entre L y M, quartier Vedado, La Havane.

Inauguration:1953. Architectes: le cabinet Harrison & Abramovitz

Construit à partir de 1951, le bâtiment de béton aux grandes fenêtres, d'inspiration Bauhaus, s'ajoute à d'autres immeubles modernes sur le Malecon, le boulevard maritime qui borde La Havane. Il est proche de l'hôtel Nacional, inauguré en 1930, de style néoclassique. Fermé en 1961, il rouvre en 1977 en tant que section des intérêts américains. C'est un des gestes spectaculaires de la politique de détente du président Jimmy Carter.

Depuis, le lieu a été transformé en bunker (guérites de militaires cubains, grilles et caméras), et le longer en voiture ressemble à une balade à Berlin-Est avant la chute du Mur, avec des panneaux intimant aux automobilistes: «Roulez au pas, ne vous arrêtez pas et regardez devant vous.»

En 2000, en pleine mobilisation pour le retour d’Elian Gonzalez, un enfant de 6 ans arrivé aux Etats-Unis en radeau, le régime installe devant l’ancienne ambassade une gigantesque scène, la Tribune anti-impérialiste, pour accueillir des meetings. Plus tard sera dressée une forêt de mâts auxquels sont hissés des drapeaux noirs, en signe de deuil après les lourdes condamnations de cinq espions cubains aux Etats-Unis. Le but était aussi de cacher le panneau lumineux qui, sur la façade du bureau, affichait des informations sur la dissidence et les droits de l’homme. Outre des rassemblements politiques, la Tribune a aussi accueilli des concerts, dont ceux de Manu Chao et de Kool & the Gang.