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Libération
Reportage

Le Burundi en ordre de bataille pour l’après-élection

Dans le quartier de Musaga, à Bujumbura, les opposants au président Nkurunziza, assuré d’être réélu mardi, se préparent au pire.
Un meeting sous haute surveillance du CNDD-FDD, le parti au pouvoir, en présence du président Nkurunziza, vendredi dans la province de Cibitoke. (Photo Carl de Souza. AFP)
par Patricia Huon, Envoyée spéciale à Bujumbura
publié le 20 juillet 2015 à 18h56

L'inscription sur la route nationale qui traverse le quartier de Musaga est à peine visible : «Non au troisième mandat.» Les mots, tracés à la peinture blanche sur l'asphalte, s'estompent un peu plus chaque jour. Tout comme les espoirs de ceux qui, il y a quelques semaines encore, descendaient tous les jours dans la rue pour protester contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à sa réélection. Pour les opposants, c'est un scrutin présidentiel sans illusion qui se tient ce mardi au Burundi.

Musaga, quartier populaire de Bujumbura, fut l'un des premiers touchés par la crise initiée fin avril, et l'un des bastions de la contestation. La répression des forces de l'ordre y fut violente : au moins dix personnes ont été tuées dans ce quartier, des dizaines d'autres blessées. «Les policiers nous ont pourchassés jusque dans les ruelles. Nous n'avions que des pierres pour nous défendre», dit un manifestant qui, comme presque tous ici, refuse d'être nommé par crainte de représailles. Des barricades, il ne reste que quelques traces noircies sur le sol, des bouts de pneus brûlés et de grosses pierres dispersées sur les bas-côtés de la route. Les boutiques du marché sont ouvertes et dans les quelques bistrots du quartier, les habitants profitent du peu de liberté de mouvement retrouvée. Des policiers en uniforme sont toujours postés au coin des ruelles de terre, assis à l'ombre, et échangent quelques politesses avec les passants. Une ambiance presque cordiale, en apparence seulement.

«Nous ne leur faisons pas confiance. La police a tiré sur nos enfants et il n'y aura jamais d'enquête, dit Félicité, dont le fils de 17 ans a été abattu le 13 mai alors qu'il manifestait. Nous continuons d'avoir peur. Toutes les nuits, nous entendons des coups de feu.» Ni elle ni son époux n'iront voter ce mardi. «A quoi bon ? demande ce dernier, en regardant la photo de son fils, accrochée au mur. Je ne veux pas participer à l'élection d'un président illégal.»

Pierres et sacs de sable à l’entrée des ruelles

La Constitution burundaise, inspirée des accords de paix sur le Rwanda à Arusha (Tanzanie) et adoptée à la fin de la guerre civile, en 2005, stipule qu’aucun président ne peut effectuer plus de deux mandats. Mais le chef de l’Etat, au pouvoir depuis dix ans, balaie les critiques en rétorquant que ses cinq premières années ne devraient pas être comptabilisées : il a été élu par le Parlement, et pas directement par un scrutin populaire. Sous la pression des dirigeants des pays de la Communauté d’Afrique de l’Est, il avait finalement accepté de reporter l’élection présidentielle… de six jours.

Mais Pierre Nkurunziza n’a pas pris la peine de se rendre aux négociations avec l’opposition et la société civile, qui se sont tenues ces derniers jours à Bujumbura, préférant assister samedi à un match de football. La veille, il s’était rendu dans des communes du nord-est du pays, proches de la frontière avec le Rwanda, pour ses deux derniers meetings de campagne. Des sites qu’il n’a pas choisis au hasard : à proximité ont eu lieu des combats entre des militaires burundais et un présumé groupe rebelle, il y a une dizaine de jours.

Vêtu d'un jean, polo, casquette et lunettes de soleil, Pierre Nkurunziza joue la carte de l'homme détendu, proche du peuple. Dans ses discours, le président burundais plaisante, interpelle la foule. Il parle pendant une vingtaine de minutes, mais ne mentionne jamais les troubles. Au contraire, il se pose, avec son parti, le CNDD-FDD, en garant de la stabilité. Toujours les mêmes thèmes de campagne : l'instauration de la démocratie, la paix, le développement. «Souvenez-vous de ce que le CNDD-FDD a fait pour vous !» lance-t-il à la foule, qu'il invite à échanger des poignées de mains fraternelles.

Si ses mots trouvent un certain écho dans les collines, où il reste populaire, ils sonnent creux à Musaga. Une fois la nuit tombée, cordes, pierres et sacs de sable réapparaissent à l'entrée des ruelles. De petits groupes de jeunes se relaient jusqu'à l'aube pour patrouiller. «Ainsi, les véhicules ne peuvent pas passer. Nous nous protégeons des incursions de la police et des Imbonerakure, les milices progouvernementales, explique Bonfils, un jeune homme costaud, organisateur de ces barrages nocturnes. Ces dernières semaines, il y a eu des arrestations ciblées. Le gouvernement veut identifier les meneurs.»

Après le scrutin, il craint une politique revancharde : «Cela s'est produit après l'élection de 2010», dit-il. A l'époque, des militants de l'opposition ont été brutalisés, victimes d'emprisonnements abusifs, voire d'exécutions sommaires. Au Burundi, l'incertitude n'est jamais bon signe. Tout le monde se souvient de l'élection présidentielle de 1993, qui avait débouché sur l'assassinat du premier président hutu démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, et sur une longue guerre civile (1993-2005) qui a causé la mort d'environ 300 000 personnes.

Poussés par la crainte de nouvelles violences, beaucoup ont préféré prendre la fuite à l'approche du scrutin, et 150 000 Burundais se sont réfugiés dans les pays voisins. «Il est très difficile de prévoir le scénario post-élection, dit Cara Jones, professeure de sciences politiques au Collège Mary Baldwin (Etats-Unis) et spécialiste du Burundi. Ce qui est certain, c'est que la réélection de Pierre Nkurunziza va entraîner une réduction massive de l'aide internationale, et probablement une crise économique. Cela ne peut que créer plus d'instabilité, dans ce pays déjà très pauvre.»

Le conflit actuel au Burundi ne se dessine pas le long de lignes ethniques. Le pouvoir a dangereusement, mais en vain, tenté «d'ethniciser» la crise, accusant, à mots à peine couverts, les Tutsis de vouloir déstabiliser le pays. La population n'a pas suivi. La contestation rassemble aussi des Hutus opposés au troisième mandat du Président, y compris au sein du parti au pouvoir. Certains, dont le deuxième vice-président du Burundi, Gervais Rufyikiri, et le président de l'Assemblée nationale, Pie Ntavyohanyuma, ont pris la fuite et se sont exilés. «Le risque de voir se produire des massacres comme lors de la précédente guerre civile est faible, pense Cara Jones. Mais beaucoup d'événements des derniers mois n'avaient pas été prévus. Et il ne faut pas oublier que la région est une poudrière, où il est très facile de se procurer des armes.»

Une rébellion portée par la rumeur

Le Burundi est un petit pays enclavé dans la région des Grands Lacs, entre le Rwanda, la république démocratique du Congo (RDC), la Tanzanie et l’Ouganda. Dans cette région marquée par de nombreux conflits, la méfiance et la paranoïa règnent, et les gouvernements accusent souvent leurs voisins d’abriter des rebelles sur leur territoire. Les auteurs d’un coup d’Etat manqué au Burundi en mai ont promis de poursuivre le combat pour chasser le président Nkurunziza. L’un d’eux, le général Léonard Ngendakumana, a revendiqué des attaques à la grenade à Bujumbura avant les législatives du 29 juin, et les incursions d’un mystérieux groupe armé dans le nord du pays.

«Les capacités d'organisation des opposants sont très limitées, nuance un diplomate occidental à Bujumbura. Et il n'y a absolument aucune preuve qu'ils reçoivent un quelconque soutien extérieur. S'ils devaient tenter une action maintenant, il y a de très grandes chances qu'elle échoue.» Mais dans les quartiers contestataires, certains se sont mis à espérer qu'une rébellion, portée par la rumeur, vienne leur prêter main-forte. «Nous les attendons», dit Alexis, un père de famille d'une trentaine d'années, les yeux rougis par la fatigue. Arrêté en mai lors d'une manifestation, il a passé près de deux mois en prison et vient d'être libéré : «Nous allons nous organiser et nous révolter. Nous serons tous des rebelles !»

Les résultats de cette élection présidentielle, passée en force, seront sans surprise. Au moins trois candidats sur huit boycottent le scrutin estimant que, dans les conditions actuelles, il ne pourrait être libre et crédible. La victoire est assurée pour Pierre Nkurunziza, mais la suite des événements au Burundi reste incertaine.