Neuf cent soixante-dix-sept pages de mesures à lire et évaluer en vingt-quatre heures chrono ! C'est le défi imposé aux députés grecs, qui n'ont reçu que mardi matin la liste des réformes sur lesquelles ils sont appelés à se prononcer dès ce mercredi soir. «La démocratie est étranglée», a martelé avec colère Zoé Konstantopoulou, la présidente de la Voulí, le Parlement grec, à la veille de ce nouveau vote au forceps.
Mais les députés grecs n’ont pas vraiment le choix. S’ils n’avalisent pas ces mesures, ils peuvent dire adieu à l’aide financière de leurs créanciers, qui reste encore à confirmer avec la finalisation fin août de l’accord conclu le 13 juillet à Bruxelles. Mais personne n’est dupe à Athènes : c’est bien contraints et forcés que les députés vont voter des mesures qu’ils n’ont pas choisies.
Et ce vote au forceps de mesures impopulaires fait de plus en plus grincer des dents, notamment dans les rangs de Syriza, le parti de gauche anti-austérité arrivé au pouvoir en janvier.
La couleuvre de l’austérité passe mal
Mardi, le Premier ministre, Aléxis Tsípras, a d'ailleurs mis en garde les frondeurs de son propre camp : «Si certains ont une alternative, qu'ils le fassent savoir», a-t-il lancé. En d'autres termes, dans un pays au bord de la faillite, il n'y a pas d'autre solution que d'abdiquer devant les exigences des créanciers du pays. Tsípras le sait, il n'évitera pourtant pas les défections dans son propre camp, où la couleuvre de l'austérité imposée passe mal. Conscient toutefois de sa popularité encore intacte, il a appelé les frondeurs de son propre camp à éviter «les réflexes partisans», dans une période cruciale pour l'avenir du pays.
Reste à savoir s'il obtiendra une majorité de suffrages sur ce deuxième train de réformes. Certes, le vote semble globalement acquis grâce aux voix de l'opposition. Mais si les mesures présentées ne recueillent pas plus de 120 votes au sein de la coalition gouvernementale – ceux de Syriza et d'Anel (le petit parti de droite nationaliste avec lequel Syriza s'est allié pour gouverner) –, «alors le gouvernement sera considéré comme minoritaire et risque de tomber», explique l'analyste Georges Sefertzis.
Fortement malmenée en ces temps d’asphyxie économique, la démocratie parlementaire grecque est en effet très encadrée : les députés votent à main levée (tout le monde, à commencer par leurs électeurs dans leurs circonscriptions, sait donc en temps réel comment chaque député s’est prononcé) et le sort du gouvernement est étroitement dépendant des votes du Parlement.
Pour limiter la casse éventuelle, l'exécutif a finalement retiré de la deuxième longue liste de réformes présentées mercredi soir celles qui auraient à coup sûr provoqué une crise gouvernementale en plein été : non seulement celle qui concerne la fin des retraites anticipées, mais surtout celle qui prévoit l'augmentation des impôts des agriculteurs (qui devaient passer de 13 % à 26 % de leurs revenus) ont ainsi été reportées. Le gouvernement affirmant même que cette mesure fiscale, particulièrement impopulaire dans un pays encore à dominante agricole, «ne faisait pas partie des préalables imposés par les créanciers» (avant la finalisation de l'accord).
C’était surtout une réforme de nature à compromettre sérieusement le résultat du vote, les défections étant certaines dans les rangs des conservateurs de Nouvelle Démocratie et des socialistes du Pasok, les deux partis d’opposition à forte implantation rurale.
Or Tsípras a besoin de l’appui de son opposition pour contrebalancer la colère et le malaise au sein de sa propre formation. Déjà lors du vote des premières mesures, le 15 juillet, 39 députés de Syriza s’y étaient opposés. Elles imposaient notamment la hausse immédiate de la TVA sur un nombre exhaustif d’activités.
Ce mercredi, les députés votent pour la réforme de la justice et du système bancaire. Des sujets a priori moins polémiques et plus techniques. Pour la justice, par exemple, il s’agit globalement de permettre une accélération des procédures afin de rendre plus rapides les décisions judiciaires.
«Tsípras a une chance énorme, il n'a plus d'opposition crédible»
Sauf que certains soupçonnent que cette accélération pourrait s’appliquer aussi à des décisions à fort coût social, comme les expulsions de propriétaires qui n’ont pas pu s’acquitter de leur taxe d’habitation. Or dans un pays où les salaires et les retraites ont baissé d’un tiers en cinq ans et où 27 % de la population est au chômage, beaucoup de Grecs ont désormais du mal à s’acquitter de leurs charges.
Mais au fond, ce qui se joue ce mercredi, ce n'est pas tant les effets concrets d'une longue liste de réformes, que peu de députés auront le temps de lire dans le détail, que le recentrage du gouvernement Tsípras, déjà remanié lundi. «Est-ce que Tsípras va engager les grandes manœuvres pour glisser de la gauche radicale vers le centre gauche et combler ainsi le vide politique laissé par les socialistes qui n'existent quasiment plus ? Ou bien va-t-il louvoyer en faisant semblant d'accepter un accord qu'il juge ouvertement mauvais et signé sous la contrainte ? C'est ce qu'on verra dans les prochaines semaines», constate Georges Sefertzis. «Tsípras a une chance énorme. Il n'a plus d'opposition crédible et il reste très populaire, même après avoir cédé aux exigences des créanciers. S'il réussit à faire avaler la pilule de l'austérité aux Grecs, il peut espérer qu'à moyen terme, l'argent des créanciers permettra de faire repartir l'économie du pays», note de son côté l'économiste Dimitris Katsikas.
«Une population essoufflée»
En Grèce, tout le monde s'attend à des élections à l'automne qui permettraient de clarifier la situation pour le Premier ministre. Mais certains sont moins optimistes sur les conséquences de cette austérité imposée de l'extérieur : «En seulement cinq ans, l'austérité en Grèce a déjà détruit deux partis de gouvernement : les socialistes du Pasok qui n'existent quasiment plus, puis les conservateurs de Nouvelle Démocratie, totalement décrédibilisés. La popularité de Tsípras tient surtout au fait qu'il apparaît encore comme un homme neuf et que ses adversaires sont haïs. Mais tout le monde sait que les mesures imposées par les créanciers vont à court terme appauvrir encore une population essoufflée, qui a déjà vécu la perte de 35 % du revenu moyen. Ce qui est énorme. Combien de temps Tsípras résistera-t-il à l'effondrement de l'espoir qu'il a porté en janvier, alors que l'image de l'Europe est désormais anéantie par des exigences qui apparaissent comme punitives ? C'est la vraie question», souligne un proche du gouvernement qui parle sous couvert d'anonymat.
Ce mercredi, c’est bien ces illusions perdues qu’incarnera le vote des 977 pages de mesures au Parlement grec, symbole d’une jeune démocratie qui fête en ce mois de juillet ses 41 ans (date de la chute de la dictature des colonels), mais qui n’a jamais semblé aussi fragile.