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Libération
TRIBUNE

Roumanie, le retour de la rhétorique antidémocratique

Le Premier ministre socialiste, Victor Ponta, est mis en accusation pour «faux, blanchiment d’argent et évasion fiscale». Le nouveau président, Klaus Iohannis, va-t-il initier la fin des pyramides clientélistes ?
publié le 22 juillet 2015 à 20h56

Alors que la crise grecque semblait avoir apaisé les tensions au sein de l’Union européenne, c’est un autre pays d’Europe centrale et orientale qui fait parler de lui ces derniers temps, non pour ses difficultés économiques, mais pour le marasme politique qui le secoue. Habituée aux scandales estivaux, cette année encore, la Roumanie revient sur le devant de la scène sur un terrain pourtant souvent associé au pays : la fraude et la corruption.

En effet, depuis quelques jours, le Premier ministre socialiste, Victor Ponta, a été mis en accusation par le Parquet anticorruption (DNA) pour «faux, blanchiment d'argent et évasion fiscale».

Depuis l’élection du nouveau président, Klaus Iohannis, l’activité du DNA semble s’être accentuée et les mises en accusation, voire les condamnations, pour corruption se sont multipliées, alimentant ainsi les chroniques quotidiennes dans le pays.

Pourtant, de par sa position sur l’échiquier politique, la mise en examen du Premier ministre émet un signal fort pour toute la classe politique roumaine, tentant ainsi de mettre fin aux pyramides clientélistes héritées du régime communiste, toujours en vigueur dans bon nombre de partis politiques.

En appelant de ses vœux la démission de Victor Ponta, le président Klaus Iohannis, soutenu par bon nombre d’intellectuels roumains, remet au centre de toutes les préoccupations un leitmotiv de la carrière politique du Premier ministre.

Pourtant, la mise en accusation de Victor Ponta ne semble pas déranger l’intéressé, habitué au marasme et aux appels à la démission. Bien qu’il ait démissionné de la tête du Parti social-démocrate (PSD), il refuse toujours de céder sa place à la tête du gouvernement. Cela semble être une constante dans la carrière politique du leader.

En effet, la question de sa démission s’était déjà posée l’an passé, lorsque la presse roumaine avait révélé que la thèse de doctorat du Premier ministre avait été plagiée pour plus de moitié. Après une longue période de déni, l’intéressé avait fini par avouer, mais avait refusé de quitter son poste. De même, après les tentatives infructueuses de démettre l’ancien président, Traian Basescu, menées par sa coalition, les années précédentes, Victor Ponta avait refusé d’assumer la responsabilité de ces échecs politiques en quittant ses fonctions. Lors de la dernière élection présidentielle, Victor Ponta, cumulant alors le double statut de Premier ministre et candidat pour le compte du PSD à la présidentielle, avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour diminuer les chances de son principal adversaire, mais à ce jeu-là, encore, il a échoué. S’était alors à encore posée la question de sa démission, mais, une fois de plus, le Premier ministre avait préféré ne pas assumer la responsabilité d’avoir mené le PSD à un nouvel échec électoral à la présidentielle et s’était maintenu dans ses fonctions.

Dans un scénario qui semble s’être répété trop de fois ces dernières années en Roumanie, Victor Ponta se bat cette fois-ci en ressuscitant une rhétorique du complot, tout droit sortie d’un mauvais film de la guerre froide. Certains médias effectuent un lavage de cerveau auprès de la population en diffusant en boucle des propos tenus par Victor Ponta et ses partisans, soutenant que le DNA, par son activité, est une machine qui a pour but de détruire la démocratie en Roumanie. Cette idée, récurrente chez le leader PSD, notamment en vue de changer les lois pour sortir ses amis reconnus coupables de corruption et de prison, est pourtant une rhétorique dangereuse qui présente la justice et la lutte contre la corruption comme un danger pour la démocratie et la stabilité politique de la région. Renforçant une image ambiguë de la Roumanie, dont la démocratie est pourtant en voie de normalisation, semblable au régime vacillant des années 90. Cet argumentaire, qui laisserait plus d’un citoyen européen perplexe, prend pourtant auprès de nombreux Roumains. Maniant avec dextérité le discours, Victor Ponta met en parallèle sa mise en accusation et les bons résultats économiques de la Roumanie, dont les bases de réussite ont été mises en place par l’opposition et l’ex-gouvernement Boc, qu’il critiquait sévèrement à l’époque. Membres à part entière de l’UE depuis bientôt dix ans, certains dirigeants roumains semblent avoir du chemin à faire en matière d’assimilation des valeurs européennes.