Mercredi, la présidence américaine a réuni à la Maison Blanche, sans témoins extérieurs et loin des caméras, une soixantaine de décideurs intéressés par l’avenir économique de Cuba : chefs d’entreprise, juristes, lobbyistes, membres de think tanks… Pourtant, les compagnies américaines restent interdites de toute activité à Cuba, sous peine de lourdes sanctions. Si les deux pays ont renoué leurs liens diplomatiques avec la réouverture de leurs ambassades respectives lundi, les relations économiques sont encore entravées par l’embargo décrété par Washington en 1961. Et dont la levée ne peut être validée que par le Congrès, où les adversaires de Barack Obama sont majoritaires.
Comment expliquer une réunion consacrée à des relations encore illicites ? Un des participants, cité sous couvert d'anonymat par le quotidien espagnol El País, apporte la réponse : «Le message était "N'attendez pas la levée de l'embargo, allez à Cuba et infiltrez-vous dans les failles légales".»
Depuis l'annonce, le 17 décembre, du dégel des relations entre les deux pays, les délégations d'acteurs économiques se sont succédé, bousculées même, à La Havane, dans l'espoir d'accéder à ce marché encore vierge. La France s'est distinguée dans cet exercice : c'est le seul pays dont le chef de l'Etat s'est déplacé. Mais le gâteau est-il si appétissant pour susciter autant de convoitises ? Le 30 mai, le journaliste argentin Andrés Oppenheimer, dans un éditorial publié par le Miami Herald, jouait les rabat-joie. Cet analyste très influent soulignait que le PIB de Cuba était trois fois inférieur à celui du Chili, et que sa population réduite (12 millions d'habitants) disposait d'un pouvoir d'achat ultra-réduit.
Des opinions plus nuancées se sont fait entendre depuis. Jérôme Leleu, doctorant en sciences économiques à l'EHESS et spécialiste de l'île, souligne : «Il y a de belles opportunités à saisir dans ce pays quasiment vierge d'investissements étrangers. Il y a des ressources naturelles à exploiter, une main-d'œuvre qualifiée et un niveau d'éducation élevé, un environnement sécurisé par la stabilité politique.» Il relève aussi les efforts du régime de Raúl Castro pour attirer les capitaux étrangers : «Des lois récentes aspirent à rassurer les entreprises étrangères, en leur assurant un impôt de 15 % sur leurs bénéfices, contre 35 % auparavant, au bout d'une période d'exonération de huit ans.»
Si la guérilla républicaine peut retarder de plusieurs années la levée de l’embargo, son application plus souple peut permettre d’entrer en douceur sur ce marché moins mirifique que certains l’espéraient, mais certainement pas négligeable.