Menu
Libération
ANALYSE

Paludisme : un vaccin, mais pas la panacée

L'Agence européenne du médicament a donné un avis positif à un vaccin expérimental contre la pandémie qui tue un demi-million de personnes par an, en majorité des enfants.
Un employé du ministère de la Santé tente d'exterminer les moustiques, porteurs de paludisme, de chikungunya, et de dengue à Port-au-Prince à Haiti le 21 mai 2014 (Photo Hector Retamal. AFP)
publié le 24 juillet 2015 à 15h28

Bientôt la fin du plus grand tueur en série d'Afrique ? De celui qui provoque la mort d'un enfant chaque minute ? On n'en est pas là, loin s'en faut. Le parasite «plasmodium», qui provoque le paludisme (malaria en anglais), infecte en moyenne 198 millions de personnes et fait 584 000 morts par an, dont 90% en Afrique. Et 78% des victimes sont des enfants de moins de 5 ans. L'avis positif donné par l'Agence européenne du médicament ce vendredi pour l'utilisation en dehors de l'Europe du vaccin expérimental «RTS,S/AS01», ou Mosquirix, développé par le laboratoire GlaxoSmithKline, traduit une réelle mobilisation contre la pandémie qui frappe plus de 97 pays dans le monde. D'autant que, depuis plusieurs années, les parasites développent des résistances aux molécules antipaludiques et que les moustiques craignent de moins en moins les insecticides.

«C'est un grand moment, on travaille sur ce vaccin depuis trente ans, et le rêve prend enfin corps», assure Ripley Ballou, responsable de la recherche à GSK, qui précise que les premiers essais ont débuté en 1998, avec des résultats contrastés. «Nous avons enfin un vaccin contre le paludisme qui marche – mais il ne marche pas aussi bien que l'on espérait au départ», relativise Nick White, de l'université Mahidol à Bangkok et à Oxford.

«Les bénéfices de la vaccination l’emportent sur ses risques»

Les manifestations cliniques du paludisme sont diverses. La maladie débute par une fièvre huit à trente jours après l’infection causée par une piqûre d'un moustique femelle anophèle, qui peut s’accompagner de maux de tête, de douleurs musculaires, d’un affaiblissement, de vomissements, de diarrhées, de toux. Les crises alternent fièvre élevée, tremblements, sueurs froides et transpiration intense. Les formes sévères de paludisme peuvent causer la mort en quelques jours.

La phase III d’essai final du vaccin (la dernière avant l’autorisation définitive d’une commercialisation) s’est déroulée du 27 mars 2009 jusqu’au 31 janvier 2014 avec la participation de 8 922 enfants et 6 537 nouveau-nés dans huit pays d’Afrique sub-saharienne : Burkina Faso, Gabon, Ghana, Kenya, Malawi, Mozambique, Nigeria et Tanzanie. Certains d’entre eux ont eu une injection de rappel dix-huit mois après la dernière dose de la vaccination initiale – trois doses administrées au cours des trois premiers mois de vie.

Chez les nourrissons dont la vaccination a été suivie d’un rappel, la réduction des crises de paludisme était de 26% sur trois ans de suivi, mais il n’y a pas eu de protection significative contre les accès sévères de malaria. Chez les enfants qui ont reçu une dose de rappel, le nombre de simples épisodes cliniques de paludisme après quatre ans a été réduit d’un peu plus d’un tiers (36%). Sans dose de rappel, le vaccin n’a pas démontré d’efficacité significative contre le paludisme sévère dans ce groupe d’âge.

De son côté, l'Agence européenne du médicament estime que le vaccin est efficace, un an après son injection, à 56% pour les enfants de 5 à 17 mois et à 31% pour les bébés âgés de 6 à 12 semaines. Bien que son efficacité décroisse après un an, et qu'il soit sans effet sur les paludismes sévères, l'Agence estime que «le rapport bénéfices/risques du Mosquirix est favorable dans les deux groupes d'âge étudiés». GSK s'est engagé à produire le Mosquirix à prix coûtant.

Le vaccin doit encore être homologué par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, ce qui devrait être le cas en novembre prochain. Ce qui serait une première : il n’existe actuellement aucun vaccin homologué contre le paludisme. Les pays qui le souhaitent pourront ensuite l’autoriser dans leur législation sanitaire.

«Une moustiquaire est plus efficace que ce vaccin»

Pour autant, pour beaucoup de spécialistes, le Mosquirix n'a rien d'une solution magique. «Une moustiquaire est plus efficace que ce vaccin», assure ainsi Adrian Hill, du Jenner Institute, à Oxford. «Ce sont des résultats limités, mais il n'y a rien d'autre, cela fait partie d'une palette d'outils qu'il ne faut pas rejeter pour autant», confie Jean-Hervé Bradol, de Médecins sans frontières (MSF). La revue médicale The Lancet ne dit pas autre chose : «Ce vaccin a le potentiel pour être une contribution substantielle dans la lutte contre la paludisme s'il est utilisé en combinaison avec d'autres mesures de contrôle, spécialement dans les lieux de haute transmission». D'autres traitements, comme des combinaisons médicamenteuses à base d'artémisinine, une plante chinoise, seraient plus efficace que la quinine. Selon MSF, l'artésunate réduit la mortalité de cas de malaria sévère de 39% chez les adultes et 24% chez les enfants. «L'artésunate est aujourd'hui trois fois plus chère que la quinine, mais la différence de 31 millions de dollars par an est peu significative face au nombre de vies (estimé à 200 000) qui pourraient être sauvées grâce à une transition à l'échelle mondiale», rappelait l'ONG en 2011.

«Le nombre de décès à son plus bas niveau historique»

Malgré les difficultés, la lutte contre le paludisme progresse de toutes parts. Les financements internationaux ont été multipliés par dix et des outils innovants systématisés, tels que les tests diagnostics et les combinaisons à base d'artémisinine. «Le nombre de décès est tombé à son plus bas niveau historique et 6,2 millions de vies ont été sauvées depuis 2000», estime le partenariat public-privé Roll Back Malaria (RBM). Pas question de relâcher l'effort. «Les maladies et les décès associés au paludisme coûtent à la seule économie africaine 12 milliards de dollars par an, rappelle RBM. A l'heure actuelle, il peut être évité, diagnostiqué et traité à l'aide d'une combinaison d'outils. Toutefois, les estimations mondiales indiquent qu'il faut 4,2 milliards de dollars chaque année pour financer entièrement la lutte contre le paludisme…»