Elles montraient quelques signes de reprises. Mais voilà qu’elles s’effondrent (à nouveau). Comme si les mesures prises par les autorités chinoises étaient in fine sans effet sur les places financières de Shanghai et Shenzhen. Baisse des taux d’intérêt, interdiction aux investisseurs ayant plus de 5% d’une entreprise cotée de se débarrasser de leurs actions, injonction aux maisons de courtage les plus importantes d’investir une vingtaine de milliards de dollars sur les marchés, histoire de soutenir les cours… ou encore opérations de police lancées contre des ventes d’actions à découvert. En vain. Rien ne rassure les petits porteurs chinois de la bourse de Shanghai qui n’ont qu’un objectif : vendre leurs actions tant qu’il est temps de minimiser les pertes. De quoi accélérer la chute des cours boursiers. Telle est la spirale dans laquelle s’enfoncent les marchés financiers chinois.
Lundi, en l’espace d’une seule séance, l’indice de la bourse de Shanghai a cédé 8,48%, illustrant à merveille les limites de l’action gouvernementale pour contenir la panique boursière dans la deuxième économie mondiale. L’indice composite shanghaïen a perdu 345 points, à 3725, dans un volume d’affaires de près de 722 milliards de yuans, (105 milliards d’euros). Quant à la place de Shenzhen, elle perdait 7% dans un volume d’échange de près de 670 milliards de yuans (97 milliards d’euros). Du jamais vu depuis 2007… Entre le 20 mai et le 10 juillet, la Bourse de Shanghai a perdu 30%, soit 3 000 milliards de dollars (environ 2 700 milliards d’euros) qui se sont envolés, plongeant les investisseurs et les autorités dans la panique.
Nouveau sport national
«Le gouvernement ne parvient pas à restaurer la confiance car les mauvaises nouvelles économiques s'accumulent sur la Chine. Mais, surtout, tout le monde se réveille et réalise à quel point les places financières de Shanghai et Shenzhen, dont la valeur a doublé en moins d'une année, ont été portées essentiellement par la fuite en avant de la spéculation», note un analyste financier. Certes, les récents chiffres du gouvernement révélant une baisse de 0,3% des bénéfices des grandes entreprises industrielles et un fléchissement de la production manufacturière en juillet expliquent ce nouvel accès de panique des investisseurs chinois à l'égard de Shanghai. Mais en partie seulement. Pour nombre d'observateurs, c'est donc la spéculation boursière, nouveau sport national, qui est en train de se retourner contre le gouvernement.
La Chine apparaît de plus en plus comme un cas d’école, dans lequel l’euphorie pour les marchés financiers semble s’être transformée en une véritable bombe à retardement. Des chiffres ? La place de Shanghai pesait un peu moins de 500 milliards de dollars l’année dernière. Il faudra moins d’un an pour que cette dernière connaisse une croissance exponentielle la propulsant dans la cour des très grandes places financières mondiales. Sa capitalisation atteignait début mai (quelques jours avant son premier krach) près de 6 500 milliards de dollars. Aucune place financière n’avait connu telle progression en si peu de temps. Grâce aux faveurs du gouvernement, la Chine compte plus de petits investisseurs que les membres inscrits au Parti communiste chinois. Ils sont plus de 100 millions, dont 98% sont des petits investisseurs. Et ce sont eux qui, jusqu’au début du mois de mai, se sont précipités auprès de banques et autres maisons de courtage pour emprunter des sommes aussitôt (ré)investies sur les marchés de Shanghai. Jusqu’au début de l’année, ils étaient environ 50 000 Chinois à ouvrir chaque semaine un compte bancaire destiné aux investissements en bourse. Sur la seule dernière semaine de mai, leur nombre atteint les 4,5 millions.
Un modèle de développement en question
Si l’Europe a les yeux rivés vers la Grèce, le reste du monde les a braqués sur Chine depuis la première grosse chute boursière de Shanghai au début du mois. Et pour cause, la Chine, que beaucoup présentent comme le sauveur de la croissance mondiale, pourrait devenir la zone la plus instable du monde. C’est du moins ce que craignent les observateurs. Il y a la crise boursière mais aussi les statistiques officielles de Pékin, notamment sur la croissance économique, jugées toujours moins fiables. Alors que le produit intérieur brut progresse de 7% par an selon les données publiées, beaucoup estiment – à l’instar de Citigroup, par exemple – la croissance en réalité limitée à 5%. Une progression qui serait plus cohérente avec d’autres indicateurs, tels que l’évolution de la consommation d’électricité du pays ou encore celle du rythme de circulation de containers et autres trains de marchandises. Même les comptes publiés par les sociétés cotées sont sujets à caution. Enfin, les investisseurs nationaux et internationaux doutent de plus en plus du caractère soutenable du modèle de développement de la Chine.
Ce modèle fondé sur une main-d’œuvre bon marché tournée (presque) exclusivement vers des produits d’exportation semble nettement moins porteur qu’il ne l’était jusqu’ici. Face à d’autres pays émergents comme l’Inde, la Chine s’avère moins compétitive. Un ralentissement des exportations qui s’est ressenti dès 2008, lorsque explose la crise des subprimes et qu’advient la chute de Lehman Brothers. Pour éviter le pire, Pékin a alors donné l’ordre aux banques locales de distribuer un maximum de crédit pour favoriser l’investissement. En un an, la Chine va ainsi injecter dans les rouages de l’économie l’équivalent de 30% du PIB sous forme de crédit. Une «manne» financière qui va aussitôt alimenter une bulle immobilière. L’année 2012 sonne la fin de l’euphorie immobilière. Les Chinois vont réaliser l’ampleur du désastre provoqué par cette spéculation et prendre conscience de ces millions de mètres carrés d’immeubles vides parce qu’invendables. Il faut alors faire vite : vendre pour récupérer autant que possible tout ou partie des investissements. La crise immobilière aurait pu mettre fin à un système de spéculation immobilière alimenté par le crédit bancaire. En vain. De l’immobilier, la spéculation va se déplacer vers le marché des actions des entreprises cotées.
Effets collatéraux
La suite ? Comme le FMI ou l’OCDE, la plupart des grands instituts de conjonctures économiques se veulent rassurants, estimant que les secousses boursières de Shanghai et Shenzhen ne sont qu’une illustration de plus des démesures que connaît la Chine. Bref, l’ampleur des mouvements boursiers, si importants soient-ils, devrait être sans conséquence sur l’économie réelle. Car qu’adviendrait-il de la Chine si la panique boursière finissait par affecter ce fameux effet richesse ?
A l’autre bout du monde, les Américains en savent quelque chose. Par deux fois, ils ont appris le sens de cette notion économique. Une première fois en 2000, lorsque explose la bulle internet. Une seconde en 2008, lorsque s’effondrent les crédits subprimes. De quoi s’agit-il ? Quand tout va bien, lorsqu’ils voient le cours de leurs actions s’envoler, la plupart des ménages éprouvent un sentiment d’enrichissement. Persuadés d’être plus aisés, ils consomment plus que de raison. A la simple vue du décompte de la valeur de leurs portefeuilles boursiers, les banques leur déroulent le tapis rouge. Toutes sont disposées à consentir à ces ménages financiarisés de nouveaux crédits. Jusqu’au jour où les indices boursiers commencent à piquer du nez. Ce jour-là, les ménages qui voient fondre la valeur de leurs actions n’ont plus qu’un seul objectif : se débarrasser au plus vite de leurs actions. Dépensiers hier, ils deviennent aussitôt prudents à l’extrême, au risque de planter un peu plus l’économie. Certes, pour l’instant, la Chine n’est pas encore dans ce type de configuration. Mais si cela devait être le cas dans les prochaines semaines, alors les effets collatéraux pourraient se propager sur le système bancaire chinois avant qu’une onde de choc ne finisse par toucher le reste du monde.