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Libération
Éditorial

Surveillance : le «secret d’Etat» contre la liberté d’informer

publié le 2 août 2015 à 19h26

Plus de 2 000 personnes défilant «pour les droits fondamentaux et la liberté de la presse», sous des panneaux «R.I.P. démocratie» : c'était ce samedi à Berlin, capitale d'un pays pourtant bien noté - 12e sur 180 - au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Mais en Allemagne, il fait de moins en moins bon s'intéresser aux affaires d'espionnage. Pour avoir révélé, documents à l'appui, les activités d'une unité du BfV, le renseignement intérieur, chargée d'«améliorer et étendre ses capacités de surveillance sur Internet», deux journalistes du blog Netzpolitik - et leur source «inconnue» - font l'objet d'une enquête pour «haute trahison». Une accusation, inédite outre-Rhin contre un média depuis 1962, qui peut leur valoir de un à quinze ans de prison, voire plus. Si l'enquête est«suspendue», comme l'a annoncé vendredi le procureur fédéral, Harald Range, elle n'est pas pour autant classée. Le président du BfV, qui a porté plainte, continuait dimanche à mettre en avant la «nécessité de prévenir la publication de documents confidentiels» pour «combattre l'extrémisme et le terrorisme»… A l'automne, déjà, après des «fuites» concernant le BND, le renseignement extérieur allemand, le directeur de la chancellerie avait menacé de poursuites la commission d'enquête parlementaire chargée des affaires de surveillance.

Les coups de boutoir contre la liberté de la presse et la répression des lanceurs d'alerte au nom de la sécurité nationale sont, hélas, de moins en moins l'apanage des régimes autoritaires. Au Japon, quiconque transmet ou diffuse des «secrets d'Etat» risque jusqu'à dix ans de réclusion. Aux Etats-Unis, l'administration Obama a poursuivi à elle seule, au nom de l'Espionage Act de 1917, deux fois plus de lanceurs d'alerte que toutes les précédentes réunies. Et en France, un amendement gouvernemental de dernière minute à la loi renseignement est venu amoindrir la protection dont devaient bénéficier les agents des services souhaitant dénoncer des pratiques illégales auprès de la future commission de contrôle.

Or la sécurité nationale ne saurait être l’éteignoir du débat public déclenché voici deux ans par les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse. Un débat crucial pour les libertés civiles, qu’il est du devoir d’une presse libre de nourrir. Au-delà du cas de Netzpolitik, heureusement soutenu par de nombreux médias allemands, l’extension de la surveillance ne cesse, en pratique, de mettre à mal la capacité des journalistes à protéger leurs sources. Laquelle, pourtant essentielle à la liberté d’informer, donc à la démocratie, est aujourd’hui bien plus menacée que le secret d’Etat.