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Libération
Éditorial

Kerry et Rohani assurent le service après-vente

publié le 3 août 2015 à 19h16

La synchronisation est parfaite, et elle n'est probablement pas tout à fait due au hasard. En tournée en Egypte puis dans les pays du Golfe, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, s'applique à rassurer ces grands alliés sunnites de Washington à propos de l'accord sur le nucléaire laborieusement négocié par les «5 + 1» - les membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne - avec Téhéran. Au même moment, le président iranien, Hassan Rohani, assurait dimanche dans une déclaration télévisée que ce texte, signé le 14 juillet à Vienne après vingt mois de négociations, allait créer «un nouveau climat» pour régler des conflits comme au Yémen et en Syrie.

L’un et l’autre, le premier très directement en tant que chef de la diplomatie de Barack Obama et le second en tant que président iranien, s’étaient engagés à fond pour ce compromis qui, après treize ans de crise, devrait permettre le retour dans la communauté internationale d’une République islamique étouffée par les sanctions économiques. L’un et l’autre s’engagent maintenant dans le service après-vente.

«Il n'y a absolument aucun doute, si l'accord de Vienne est entièrement appliqué, que l'Egypte et tous les pays de cette région seront plus en sécurité qu'ils ne l'ont jamais été», a martelé au Caire John Kerry. «Nous allons insister sur nos principes, mais très certainement l'accord va créer un nouveau climat pour un règlement politique plus rapide des crises dans la région», affirme en écho Hassan Rohani. John Kerry avait été le principal artisan d'un accord voulu par Barack Obama en fin de mandat, conscient de jouer sur ce dossier sa place dans l'histoire. Le président iranien, lui, y joue son avenir politique.

Chacun des deux dit ce que l'autre veut entendre. Mais rien n'est encore acquis. Les conservateurs iraniens restent hostiles. «Notre politique ne changera pas face au gouvernement arrogant américain», lançait le guide suprême, Ali Khamenei, quatre jours à peine après la signature de l'accord. Au retour de sa visite éclair à Téhéran, Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, tout en affirmant son espoir de voir à terme évoluer la politique extérieure de l'Iran, se disait lui-même «prudent» quant à la possibilité d'un changement rapide. Pour nombre d'observateurs, il ne fait guère de doute que, dans l'immédiat, l'Iran va utiliser le pactole enfin dégelé de ses avoirs à l'étranger pour aider ses amis régionaux, le régime syrien comme le Hezbollah libanais.

Au sein même de la classe politique américaine, comme parmi les alliés de Washington - et pas seulement en Israël -, les réticences persistent. Téhéran s’est certes engagé à limiter le nombre de ses centrifugeuses permettant d’enrichir l’uranium et à détruire la plus grande partie de son stock de matière fissile. L’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) pourra effectuer des contrôles. L’accord gèle en fait pour dix ans - ou quinze pour certains aspects - un programme nucléaire soupçonné d’avoir des fins militaires, mais il ne l’annihile pas, contrairement aux objectifs initiaux. C’est un pari sur l’avenir et sur l’ouverture démocratique d’une République islamique dont la population a soif de bien-être et de liberté.

C’est aussi la moins mauvaise des solutions, car elle évite des frappes militaires qui ne ralentiraient que de deux ou trois ans la marche de l’Iran vers la bombe. Mais les préoccupations des pays de la région demeurent, et les propos de John Kerry ne suffisent pas à les rassurer. D’où la crainte que cet accord, malgré ses bonnes intentions, ne provoque malgré tout cette course à l’armement nucléaire au Proche-Orient qu’il devait justement conjurer.