Les baraquements sont perdus au milieu des arbres de la colline Hijiyama, dans l’est de la ville. La plupart datent d’après-guerre, quand les Américains, qui occupaient alors le Japon, créèrent la Commission des victimes de la bombe atomique (ABCC), d’abord à Hiroshima puis à Nagasaki. Dans ces bâtiments et laboratoires construits en abris arrondis, des chercheurs et spécialistes ont entamé dès 1947 un long suivi des survivants pour analyser les effets des radiations. Ce n’est que trois ans plus tard, après un recensement national au Japon, qu’ils ont identifié 284 000 survivants des deux bombardements atomiques. Un peu plus de 195 000 d’entre eux sont toujours en vie.
Référence. Des études sur l’espérance de vie de 120 000 survivants, sur les enfants nés de parents exposés et sur ceux qui étaient in utero au moment de l’explosion, sont alors lancées. «Beaucoup de personnes sont mortes entre 1945 et 1950, mais à partir du recensement, nous avons eu une représentation assez juste de la situation des victimes de la bombe avec une vaste cohorte représentant près de la moitié des survivants», note Eric J. Grant, du département épidémiologie de la Fondation pour la recherche sur les effets des radiations (RERF) qui a pris le relais de l’ABCC en 1975 en intégrant du personnel japonais.
A ce jour, RERF est la seule organisation à mener une étude épidémiologique de la naissance au décès sur un si grand nombre de personnes. Si les financements nippo-américains sont sécurisés, la fondation poursuivra ses travaux pendant plusieurs décennies. Ses recherches ont déjà permis d’établir des normes en termes d’exposition aux radiations, comme le seuil des 100 millisieverts au-delà duquel les cas de cancer se multiplient. Ses résultats servent toujours de référence lors des accidents nucléaires, comme à Tchernobyl en 1986, et pour les ouvriers du secteur. Ces vingt dernières années, elle a accentué ses recherches sur les corrélations entre les radiations et les maladies cardiovasculaires, digestives, cardiaques.
«Singes». Les équipes médicales, qui ont collecté plus de 900 000 échantillons de sang et d’ADN, continuent de croiser les données et d’ausculter les survivants volontaires. Tous les deux ans, ceux-ci passent une batterie de radios, échographies et analyses de sang et d’urine. Sans jamais recevoir soins ou compensation : l’ABCC puis RERF n’ont jamais été un hôpital et cette clause originelle n’a pas été pour rien dans le rejet exprimé au début par les Japonais.
«Il y a eu beaucoup de méprise, reconnaît Jeffrey Hart, en charge de la communication à RERF. Les survivants se sont sentis traités comme des singes de laboratoires. L’ABCC a multiplié les erreurs par manque de sensibilité et de connaissance du Japon, se déplaçant en jeep militaire. Aujourd’hui encore, nous composons avec ce passif.» L’institution doit faire œuvre de pédagogie pour apparaître indépendante. Elle en aura besoin pour sa nouvelle mission : l’Etat japonais a demandé à RERF de suivre la santé des milliers d’ouvriers de la centrale de Fukushima-Daiichi.