L'affaire avait pris des proportions auxquelles le gouvernement d'Angela Merkel ne s'attendait sans doute pas. L'enquête pour «haute trahison» ouverte à l'encontre de deux journalistes du blog allemand Netzpolitik et de leur source «inconnue», suite à leurs révélations sur la surveillance d'Internet par le renseignement intérieur allemand, le BfV, avait provoqué ces dix derniers jours une levée de boucliers de la presse allemande, de l'opposition et des organisations de défense des libertés civiles. Au point d'embarrasser le ministre de la Justice, Heiko Maas, et d'entraîner la mise à la retraite anticipée du procureur fédéral, Harald Range. La semaine dernière, un appel lancé à l'initiative de 150 journalistes du monde entier, publié notamment par Libération, demandait l'abandon définitif des charges contre les journalistes et leurs sources.
Une demande en partie satisfaite, puisque le procureur par intérim, Gerhardt Altvater, a annoncé ce lundi matin par communiqué le classement de l'enquête contre Markus Beckedahl et Andre Meister, les deux journalistes visés. Les documents publiés en février et en avril derniers par le site web ne constituent pas des «secrets d'Etat», a-t-il précisé. Mais l'enquête contre la source pour «violation du secret professionnel» n'est, elle, pas abandonnée.
Du côté de Netzpolitik, si le soulagement est indéniable, l'histoire n'est donc pas terminée. «Nous voulons en particulier savoir si nous avons été l'objet, durant ces trois mois d'enquête, de mesures de surveillance», écrit Markus Beckedahl. Qui demande désormais pour les avocats du site un accès complet au dossier, qui leur est pour l'heure refusé, et questionne également le rôle du ministre de l'Intérieur, Thomas de Maizière – ce dernier pouvait difficilement ignorer que le président du BfV, dont il est l'autorité de tutelle, avait déposé plainte contre X dès février.
Quant à la poursuite de l'enquête contre la source potentielle, «ce serait le bon moment pour débattre d'une meilleure protection des lanceurs d'alerte», poursuit Beckedahl, qui juge qu'en la matière «l'Allemagne est encore un pays en voie de développement». Le fondateur du site web se veut pourtant relativement optimiste: si l'abandon de l'accusation de «haute trahison» marque comme il l'espère «l'échec spectaculaire» d'une «tentative d'intimidation» contre les journalistes qui s'intéressent aux questions de surveillance, l'«affaire Netzpolitik» pourrait bien avoir «renforcé le journalisme en Allemagne». Comme, en son temps, l'«affaire du Spiegel».