C’est une guerre, avant tout politique, où la propagande compte au moins autant que les armes. L’engrenage des violences en Turquie entre la guérilla kurde du PKK et les forces de sécurité risque de donner le coup de grâce au processus de paix. Ce dernier a été amorcé à l’automne 2012 par des négociations directes entre le leader islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, et le chef du PKK, Abdullah Ocalan, condamné à la prison à vie. Destinées à trouver une solution politique au problème kurde et à un conflit qui a fait plus de 40 000 victimes depuis 1984, ces négociations étaient au point mort depuis le printemps, après que le président Erdogan a joué à fond la carte nationaliste dans l’espoir d’obtenir une majorité lui permettant d’instaurer un régime présidentiel. L’entrée au Parlement, avec 13 % des voix, du HDP, le parti prokurde longtemps vitrine politique du PKK mais depuis ouvert à toutes les diversités, oblige même l’AKP (au pouvoir) à tenter de trouver - jusqu’ici sans succès - un partenaire de coalition.
Chaque jour ou presque, l'aviation turque mène des frappes - plus de 150 - dans le nord de l'Irak ou sur son propre territoire, contre les bases du PKK. Il n'y a eu, pour le moment, que trois bombardements en Syrie contre l'Etat islamique. La guérilla kurde répond par des attentats, parfois spectaculaires, contre des commissariats de police, y compris à Istanbul, ou contre des véhicules de l'armée, tuant au moins 34 représentants des forces de l'ordre depuis le 24 juillet, date à laquelle Ankara a lancé sa «guerre contre le terrorisme». Mais malgré la virulence des proclamations, chacune des parties engagées dans ce bras de fer - le PKK, le HDP et l'AKP - semble encore vouloir éviter l'embrasement. «La guérilla n'a pas commencé à combattre. Pour le moment, nous nous contentons de répondre aux attaques de l'ennemi et d'organiser notre légitime défense», déclarait la semaine dernière Duran Kalkan, numéro 3 du PKK. Toujours classée organisation terroriste par Washington et l'UE, le groupe tente de se poser en interlocuteur crédible et affirme être prêt à reprendre le processus de paix. Selahattin Demirtas, leader du HDP, est tout aussi prudent. Un alignement sur le PKK signerait sa mort politique, mais il ne peut pas non plus le désavouer. Il reconnaît «le droit de l'Etat à se défendre», tout en critiquant haut et fort le bellicisme d'Erdogan. Mais surtout, il évite d'appeler à des manifestations de rue qui pourraient devenir incontrôlables.
Recep Tayyip Erdogan, s'il clame vouloir poursuivre les opérations «jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul terroriste à l'intérieur des frontières», rappelle aussi être contre toute dissolution de parti, donc y compris le HDP. A l'en croire, le processus est «gelé», mais il ne le donne pas pour mort. Les autorités turques frappent d'autant plus fort le PKK qu'elles savent que ces raids ne pourront durer trop longtemps. Ankara est en effet sous la pression des Américains comme des Européens, car les combattants kurdes sont indispensables pour affronter au sol les jihadistes. Il reste, en outre, un acteur clé, jusqu'ici silencieux : Abdullah Ocalan. Plusieurs fois, depuis sa prison, le leader historique de la guérilla était intervenu pour sauver le processus de paix. Il espère ainsi, à terme, une mise aux arrêts domiciliaires. Beaucoup, maintenant, attendent son nouveau message.