Le Premier ministre libyen, Abdallah al-Theni, a annoncé sa démission mardi soir, lors d'une interview télévisée. Pressé par un journaliste de Libya's Channel, le chef du gouvernement de Tobrouk — reconnu par la communauté internationale —, visiblement sous le coup de l'émotion, a déclaré son intention de jeter l'éponge. Mais le porte-parole du gouvernement a rapidement tenu à préciser qu'il ne s'agissait que d'une «proposition» de démission, la Chambre des représentants devant encore valider ce départ.
En chaussettes
Si l'annonce a pris de court tout le monde, elle n'est pas si surprenante. Libération avait rencontré Abdallah al-Theni en avril, dans sa résidence d'Al-Bayda, dans l'est du pays. En chaussettes, les traits tirés, il était sans illusions sur la réalité de son pouvoir : «Je n'ai pas de baguette magique. Si quelqu'un pense avoir la solution, je serai le premier à me retirer. Je suis fatigué.» Un état d'esprit morose qui a refait surface lors de sa sortie télévisée : «Il a cédé sous le coup de l'émotion, ce n'était pas prémédité», a expliqué à Libération un journaliste de la chaîne. L'homme de 61 ans est usé et ne s'en cache plus.
L'ancien colonel de carrière a pourtant démontré son habilité politique et son sang-froid. En mars 2014, alors qu'il est ministre de la Défense, Al-Theni remplace le Premier ministre démissionnaire Ali Zeidan. Le Congrès général national (CGN) le choisit parce qu'il est l'une des figures les moins politiquement marquées entre les deux blocs qui s'affrontent alors : les islamistes et les modérés. Il a pour mission de mettre fin au mouvement fédéraliste qui occupe une partie des sites pétroliers dans l'est du pays. «C'est le plus petit dénominateur commun au sein du Congrès», disait de lui à l'époque Salah Bakouch, cofondateur du parti Union pour la patrie, allié au bloc islamiste.
Coup de poker
Le «pis-aller» se révèle stratège. A peine un mois après sa nomination, il démissionne, considérant que son gouvernement n’a pas les coudées assez franches face au Congrès. Aussitôt, les islamistes parviennent à faire élire Ahmed Miitig comme nouveau Premier ministre. Mais l’annulation de cette nomination, jugée anticonstitutionnelle par la Cour suprême, et l’approche des élections législatives (prévues en juin) convainquent finalement l’Assemblée de conserver Al-Theni et de renforcer ses pouvoirs.
Dès lors, le pays sera coupé en deux. D’un côté, la mouvance islamiste qui a reconstitué le Congrès général national, dit «gouvernement de Tripoli». De l’autre, la Chambre des représentants (CDR), issue de l’élection de juin, de tendance modérée et basée à Tobrouk. Celle-ci reconduit Abdallah al-Theni au poste de Premier ministre.
Un coup de poker réussi pour le politicien originaire de Ghadamès, dans le sud-ouest de la Libye, mais qui sera également son dernier coup de bluff. Après la bataille de Tripoli, Al-Theni et son équipe s'exilent à Al-Bayda. C'est donc en spectateur que le Premier ministre assiste à l'effondrement du pays. En mars, il compare la situation de la Libye à celle du Yémen et appelle à une intervention internationale. Deux mois plus tard, Abdullah al-Theni échappe à une tentative d'assassinat après que son convoi a été attaqué.
La loi des armes
Le gouvernement de Tobrouk est reconnu par la communauté internationale mais, sur le terrain, ce titre ne vaut rien. Toute l'administration étatique est aux mains du gouvernement rival de Tripoli et les forces armées de l'Est, bien que le soutenant officiellement, n'ont cure d'Abdallah al-Theni. Dans cette zone où les check-points sont fréquents, se prévaloir d'une autorisation officielle d'Al-Theni ne suffit pas à ouvrir les barrières, comme a pu le constater à plusieurs reprises Libération. Là, ce ne sont pas les politiques mais les hommes en armes, ceux du général Khalifa Haftar ou des brigades tribales, qui font la loi.
Coincé à Al-Bayda où il est privé d'argent, de soutien et de considération, Abdallah al-Theni admet lui-même qu'il ne pèse plus. Même si la Chambre des représentants décidait de ne pas accepter son départ, dans les faits, Abdallah al-Theni a déjà démissionné. Surtout que depuis l'accord de Skhirat, l'ONU et les interlocuteurs libyens discutent activement de la mise en place d'un gouvernement d'union nationale censé mettre un terme à la dichotomie du pouvoir. La question est de savoir si cette annonce surprise va faciliter ou complexifier le processus de transition. Mais une fois encore, Abdallah al-Theni n'est pas maître du jeu.