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Libération
Analyse

Les sanctions économiques, la vraie crainte de l’Etat hébreu

Le boycott culturel agace Israël, qui redoute cependant bien plus les pénalités envisagées par l’Union européenne sur les produits issus des colonies.
publié le 12 août 2015 à 20h06

«Dites-moi que je rêve !» Réalisateur de films et membre du camp israélien de la paix, Roy Zafrani pensait être reçu à bras ouverts lorsqu'il a demandé, il y a quelques semaines, à inscrire The Other Dreamers, un documentaire consacré à la vie des handicapés, à un festival organisé en Norvège. Mais il a vite déchanté, quand les organisateurs lui ont fait comprendre qu'il n'y serait pas le bienvenu. «Nous soutenons le boycott universitaire et culturel d'Israël, lui ont-ils écrit. A moins que les films ne traitent de l'occupation illégale, du blocus de Gaza, ou de la discrimination des Palestiniens, nous ne pouvons les programmer.» Pourtant, le film de Zafrani avait déjà été diffusé en Inde, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens. Produit sans aide publique israélienne, il montre l'évolution de quatre handicapés tentant de se débrouiller dans la vie. «Je ne fais pas partie du gouvernement israélien et je ne suis pas un décideur politique. Je ne comprends donc pas pourquoi on m'ostracise, lâche le réalisateur. Après tout, personne ne boycotte les réalisateurs syriens et iraniens en raison du gouvernement de leur pays. Pourquoi faut-il le faire avec un Israélien ?»

Avant Roy Zafrani, de nombreux autres artistes avaient connu la même mésaventure. Durant l'été 2014, en pleine opération «Bordure protectrice», au moins deux troupes israéliennes invitées au festival Fringe d'Edimbourg (Ecosse) avaient ainsi été priées de ne pas monter sur scène, «pour éviter les ennuis». Dans la foulée, des réalisateurs israéliens avaient préféré retirer leurs films d'un festival londonien parce que les organisateurs ne garantissaient plus leur sécurité.

Subsides publics. Paradoxalement, les premières victimes de cette mise en quarantaine sont les artistes et les intellectuels opposés à la politique de Benyamin Nétanyahou et de ses alliés d'extrême droite. En 2014, de nombreux appels au boycott, émanant de cercles propalestiniens, ont ainsi accompagné la tournée française de la troupe de ballet Batsheva. Parce que ce fleuron de la danse moderne israélienne perçoit des subsides publics et qu'elle passe donc, aux yeux de ses détracteurs, pour un «instrument de propagande chargé de promouvoir les intérêts politiques d'Israël». Or, Ohad Naharin, l'animateur et chorégraphe de la troupe, passait déjà pour l'un des opposants les plus farouches à la politique de colonisation, avant même la naissance du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions» (lire page 5). En 2002, c'est-à-dire au beau milieu de la deuxième Intifada, il avait même tenu des propos tellement virulents contre le gouvernement du Premier ministre de l'époque, Ariel Sharon, et contre les opérations de Tsahal dans les Territoires, que le Likoud avait appelé le public israélien à… boycotter ses créations. Plusieurs députés d'autres partis d'extrême droite avaient alors embrayé en exigeant que l'Etat coupe les fonds à ce «traître».

Les médias de l'Etat hébreu relatent quasi quotidiennement les mésaventures vécues par l'un ou l'autre des représentants de la société civile israélienne. Qu'il s'agisse de touristes maltraités sans raison à l'aéroport d'Istanbul, d'artistes insultés durant leur performance sur une scène étrangère, ou de ce groupe de onze judokas bloqué, le 20 mai, durant huit heures à Casablanca, où on leur a confisqué leurs passeports. Les commentateurs présentent souvent ces faits comme de nouvelles «manifestations d'antisémitisme».

En général, ces commentateurs mettent dans le même panier les actions d'organisations style BDS et les sanctions envisagées par des Etats et par l'Union européenne pour lutter contre la poursuite de l'occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, la partie arabe de la ville. Ainsi, lorsque l'UE a, il y a quelques mois et comme plusieurs de ses membres le font déjà, remis au goût du jour son projet de marquer les produits israéliens cueillis ou fabriqués dans les colonies, des responsables israéliens ont répliqué que ce marquage leur rappelait de «funestes souvenirs», en faisant évidemment référence aux pratiques nazies.

Succursales. En juillet, le Conseil européen des Affaires étrangères a par ailleurs transmis à l'Union européenne un rapport préconisant le boycott des banques israéliennes qui entretiendraient un réseau de succursales dans les territoires occupés. Pour l'heure, aucune décision n'a encore été prise à ce propos, mais on sait qu'au-delà des établissements visés, une telle sanction frapperait aussi les grands noms de l'industrie israélienne, dont les patrons soutiennent financièrement les partis dits «du camp de la paix». Ainsi que le mouvement La paix maintenant. Ces grands patrons sont d'ailleurs les premiers à exiger la reprise du processus de paix, l'arrêt de la colonisation et la création d'un Etat palestinien indépendant.

Concrètement, les autorités israéliennes redoutent beaucoup plus les sanctions économiques et politiques émanant d'Etats, ainsi que les procédures devant la Cour pénale internationale engagées par l'Autorité palestinienne, que les appels au boycott lancés par BDS et les groupes associés. «Ce sont des mouches qui s'agitent sans effet», a d'ailleurs déclaré, mercredi, le vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur Silvan Shalom (Likoud) à propos d'une pétition lancée par les supporteurs britanniques de ce mouvement, exigeant l'arrestation de Benyamin Nétanyahou à l'occasion de sa visite officielle à Londres, le mois prochain. Pour l'heure, cette pétition a recueilli plus de 30 000 signatures et tout porte à croire que ce chiffre va gonfler au fil du temps. Mais elle n'a aucune chance d'aboutir puisque le chef du gouvernement israélien bénéficie de l'immunité diplomatique et que le Premier ministre britannique, David Cameron, passe pour un «ami» de l'Etat hébreu.

Immunité. Quoi qu'il en soit, le harcèlement d'officiels israéliens en déplacement à l'étranger est l'une des tactiques utilisées par les partisans du boycott à tout prix. En 2014, le gouvernement britannique avait dû accorder une immunité diplomatique temporaire à l'ancien ministre de la Justice, Tzipi Livni, pour éviter son arrestation dans le cadre d'une plainte pour «crimes de guerre» déposée à Londres. En juin, Shaul Mofaz, ex-chef de l'état-major de Tsahal et ex-ministre de la Défense durant la deuxième Intifada, a également pris le risque. Il s'est envolé à destination de Londres malgré les avertissements lancés par les services de renseignements de son pays. Pendant quelques jours, la présence en Grande-Bretagne d'un ancien général présenté comme un «criminel de guerre» a presque suscité autant d'intérêt dans les journaux locaux que la participation de Tel-Aviv à Paris Plages. Mais l'affaire s'est rapidement dégonflée et Mofaz est rentré chez lui sans encombre en affirmant que ceux qui avaient tenté de le faire arrêter avaient «bavé pour rien».