Pour les marchés mondiaux qui espéraient une période calme à l’approche du 15 août, c’est raté. Jeudi, le yuan chinois a connu sa troisième dépréciation de la semaine, après la dévaluation surprise de mardi, lorsque Pékin a pris la décision d’abaisser le taux pivot autour duquel la monnaie chinoise est autorisée à fluctuer par rapport au dollar. Au plus bas niveau depuis quatre ans, il fallait, jeudi, débourser 6,40 yuans pour acheter 1 dollar, contre… 6,11 yuans lundi.
Tout a commencé mardi. Cette banale journée d'été, chaude et moite à Pékin, démarre sur les chapeaux de roues avec ce coup du gouvernement chinois : une dévaluation inattendue de près de 2 % du «renminbi» (RMB), nom officiel du yuan. Cette dévaluation a provoqué une cascade de dépréciations(lire l'encadré ci-contre). Celle de mardi a été la plus brutale en Chine, en un seul jour, depuis 1994. L'onde de choc s'est ensuite propagée aux places boursières internationales, au prix du pétrole, ainsi qu'aux autres matières premières.
Effet domino
Mercredi, le yuan a continué sa dégringolade : -1,6 %, puis -1,1 % jeudi. Au total, le yuan a fondu de 4 % en seulement quarante-huit heures. Certains économistes craignent désormais une «guerre des monnaies», dans laquelle des nations dévalueraient à leur tour pour gagner en compétitivité face à la Chine, où les difficultés économiques s'accumulent après la grande panique boursière de juillet. «D'autres pays pourraient maintenant faire de même, surtout ceux très liés économiquement à la Chine», estime Rui Meng, professeur de finance à la China Europe International Business School (CEIBS) de Shanghai.
La Chine, de son côté, parle seulement d'une mesure «exceptionnelle», nécessaire pour que le marché puisse corriger les distorsions du prix du yuan. Jusqu'à présent, sa valeur était fixée chaque matin par la banque centrale du pays, la puissante People's Bank of China (PBOC). C'est elle qui déterminait ce «cours pivot» permettant au yuan de fluctuer, mais seulement à l'intérieur d'une fourchette de 2 % par jour, à la hausse comme à la baisse. Ce mécanisme donnait beaucoup de latitude à Pékin pour caler le RMB en fonction des objectifs politiques ou des chiffres économiques du moment. C'est ce système, critiqué pour son opacité, qui a été réformé mardi. La banque centrale chinoise a promis que, dorénavant, elle fixerait ce point médian chaque matin, en prenant «entièrement en compte» les courbes de l'offre et de la demande constatées, la veille, sur le marché des changes interbancaire.
Régime hybride
«La dévaluation du yuan chinois fait la une de la presse internationale, mais pas pour les bonnes raisons. La dévaluation de mardi à 1,86 %, ça reste modeste», décrypte Michael Pettis, professeur de finance à la prestigieuse université de Pékin. «Le vrai tournant, c'est que la Chine migre maintenant vers un régime de change hybride, à mi-chemin entre l'arrimage à un panier de monnaies et le système de changes flottants», poursuit cet économiste. Selon lui, un yuan dévalué permet à la Chine, déjà le premier détenteur mondial de dette américaine, d'amasser davantage de billets verts et de se prémunir ainsi d'une contraction subite de l'offre monétaire.
Avec un double risque, cependant : un renchérissement du prix des produits importés par la Chine (denrées agricoles, pétrole, gaz, etc.) et la création d'un autre type de spéculation. «L'action de la People's Bank of China fait mal aux spéculateurs qui misaient sur l'appréciation du yuan [il avait gagné +1,9 % contre l'euro au cours du seul mois de juillet, ndlr]. Désormais, elle favorise ceux qui parient sur sa dépréciation.»
En réalité, Pékin réagit surtout à l'annonce récente de mauvais chiffres sur le front des exportations. Victimes de la hausse du coût du travail en Chine, laquelle renchérit le «made in China», les ventes du pays à l'étranger ont baissé de 8,3 % le mois dernier par rapport à juillet 2014, selon les statistiques publiées le 8 août, trois jours avant la première dévaluation. En agissant ainsi, le gouvernement chinois veut donc surtout donner de l'oxygène à ses exportateurs. «Les chiffres de juillet étaient terribles», abonde Michael Pettis. Le problème, toutefois, est que cette dévaluation est trop relative pour booster les exportations chinoises. Et qu'une politique du yuan faible minerait sérieusement le pouvoir d'achat des ménages chinois, pile au moment où la Chine veut remplacer la locomotive traditionnelle des exportations par celle de la consommation intérieure. Elle apparaît également en contradiction avec les ambitions de la Chine, deuxième économie mondiale, pour qui avoir une monnaie forte et stable est un gage de stabilité et de puissance.
Plaire au FMI
Malgré tous ces risques, Pékin a estimé nécessaire de dévaluer. Il faut dire que le temps pressait et qu'il fallait donner rapidement des gages au Fonds monétaire international (FMI). «C'est davantage une réforme pour inclure le yuan dans le panier du FMI, que pour doper la croissance», analyse Craig Botham, du gestionnaire d'actifs britannique Schroders. En novembre, le Fonds monétaire international doit en effet se réunir pour décider si le yuan chinois peut faire partie du «panier du DTS» (droit de tirage spécial). Cet actif de réserve international, créé en 1969 par l'institution basée à Washington, est un mécanisme censé compléter les caisses des pays membres de l'organisation. Actuellement, quatre devises font partie de ce «panier», réexaminé tous les cinq ans pour qu'il reste attractif et qu'il reflète l'économie mondiale : le dollar, l'euro, la livre sterling britannique et le yen japonais.
Pour que le yuan chinois rejoigne ce groupe, ce que souhaite Pékin, il faut qu'il remplisse deux conditions. La première est déjà garantie, puisqu'elle exige que toute nouvelle monnaie candidate soit celle «de pays membres ou unions monétaires qui jouent un rôle central dans l'économie mondiale». C'est bien évidemment le cas de la Chine. Le deuxième critère, ajouté en 2000, est en revanche plus difficile à atteindre. Il stipule que la monnaie doit être «librement utilisable », c'est-à-dire «largement utilisée pour le règlement de transactions internationales et couramment échangée sur les principaux marchés de change». Or c'est là, justement, que le RMB pèche, puisqu'il arrive «seulement» en cinquième position des monnaies les plus utilisées dans les paiements internationaux, selon un classement publié en janvier par la société financière Swift.
La réforme du système d'indexation du yuan - qui correspond, de facto, à une dévaluation - vise surtout à rassurer le FMI en lui montrant que la «monnaie du peuple» continue son processus d'internationalisation. Et que l'économie chinoise donne désormais davantage de place aux «mécanismes de marché», comme l'avait déjà promis en 2013, le Premier ministre chinois Li Keqiang lors de son arrivée au pouvoir.