Près de 900 000 Brésiliens - deux millions selon les organisateurs - ont manifesté dimanche pour exiger le départ de la présidente de gauche Dilma Rousseff, embourbée dans une triple tempête économique, politique et de corruption. Au moins 866 000 personnes vêtues de vert et jaune ont défilé dans le calme et dans une ambiance familiale à travers tout le pays, selon les dernières estimations de la police. C’est plus qu’en avril dernier, quand 600 000 Brésiliens avaient manifesté, mais moins qu’en mars où entre un et trois millions, selon les sources, étaient descendus dans les rues.
Les organisateurs - des mouvements citoyens de droite soutenus par une partie de l'opposition - ont estimé quant à eux à «deux millions» - dont un million à Sao Paulo - le nombre de participants à ces manifestations organisées dans plus de 100 villes du géant émergent d'Amérique latine. Selon la police, 350 000 personnes ont défilé dans l'après-midi sur la grande Avenue Paulista au cœur de la capitale économique du pays et fief de l'opposition, tandis que l'institut Datafolha avance le chiffre de 135 000 seulement. Le gouvernement a considéré que les manifestations «s'étaient déroulées dans le cadre démocratique», selon un bref communiqué du ministre des communications de la Présidence, Edinho Silva, envoyé à l'AFP.
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Souvent vêtus du maillot vert et jaune de la «Seleçao» de football, les anti-gouvernement ont protesté dès le matin dans la capitale Brasilia (centre), à Belo Horizonte (sud-est), Recife (nord-est), Salvador de Bahia (nord-est) ou Belem (nord). Arborant des pancartes portant les inscriptions «Dehors Dilma!» et «Non à la corruption!», au moins 25 000 personnes ont défilé à Brasilia, entre l'Esplanade des ministères et le Congrès des députés. «Nous allons protester jusqu'à la fin. Jusqu'à ce que la présidente tombe. Elle doit s'en aller définitivement et laisser ce pays en paix et libéré de cette mafia du PT», a déclaré à l'AFP Patricia Soares, une fonctionnaire de 43 ans.
«Nous allons déloger ces merdes du pouvoir»
A Rio de Janeiro, qui accueillera dans un an les Jeux olympiques, le parcours de l'épreuve test de cyclisme a été en partie modifié pour permettre une manifestation le long de la plage de Copacabana. Les manifestants ont chanté l'hymne brésilien à pleins poumons. Avant d'entonner en cœur : «Dehors Dilma! Ici c'est le Brésil, pas le Venezuela. Olé, Olé, Olé, nous ne sommes pas communistes, nous sommes patriotes, nous allons déloger ces merdes du pouvoir !».
Le président du Parti social démocrate brésilien (PSDB) et rival malheureux de Dilma Rousseff à la présidentielle de 2014, Aecio Neves, a pour la première fois appelé ses militants à se joindre aux cortèges. «Assez de tant de corruption, mon parti est le Brésil», a déclaré M. Neves, en participant à la manifestation de Belo Horizonte, dans son Etat de Minas.
Dilma Rousseff, 64 ans, qui a entamé son deuxième mandat en janvier après une difficile réélection fin octobre, a vu en quelques mois sa popularité chuter brutalement à un niveau historiquement bas de 8%. Elle est confrontée à une triple tempête: la récession économique qui l’a conduite à adopter des mesures d’austérité impopulaires; les révélations dévastatrices du scandale de corruption autour du géant public pétrolier Petrobras qui éclabousse son Parti des travailleurs (PT) et d’autres partis alliés; enfin, une crise politique aiguë qui menace de faire voler en éclats sa fragile majorité parlementaire.
L’ex-guerillera torturée sous la dictature militaire a récemment affirmé qu’elle ne cèderait «ni aux pressions ni aux menaces», rappelant qu’elle tenait sa légitimité du vote populaire.
Sous la menace de deux procédures
Dilma Rousseff est sous la menace potentielle de deux procédures, même si la plupart des juristes estiment que les conditions ne sont pas réunies pour entraîner sa chute. Le Tribunal des comptes de l’Union (TCU) doit juger prochainement si son gouvernement a enfreint la loi en 2014 en faisant payer aux banques publiques des dépenses incombant à l’Etat. Une décision négative pourrait entraîner le lancement d’une procédure de destitution.
Celle-ci n’aboutirait que si elle recueillait les votes de deux tiers des députés. Dans ce cas, c’est le vice-président Michel Temer, président du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB) qui assumerait le pouvoir jusqu’aux prochaines élections en 2018. Le Tribunal suprême électoral devra, lui, déterminer si les comptes de campagne de la présidente ont été contaminés par de l’argent détourné de Petrobras. Cela pourrait entraîner en théorie l’annulation des élections de 2014 et la convocation d’un nouveau scrutin.
Dans la ligne de mire du président du Congrès des députés Eduardo Cunha (PMDB), qui lui a infligé de douloureux revers au cours du premier semestre, Dilma Rousseff a reçu une bouffée d’oxygène la semaine dernière en obtenant le soutien du président du Sénat Renan Calheiros, membre également du PMDB, le puissant allié centriste du PT qui a désormais un pied dans la majorité et un autre dans l’opposition.