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Libération
Récit

La République dominicaine expulse des milliers de personnes d'origine haïtienne

Une loi de septembre 2013, rétroactive, a retiré la nationalité des enfants nés de parents haïtiens sur le sol dominicain. Ceux-ci sont obligés de quitter le pays, en se retrouvant souvent apatrides.
Des Haïtiens ayant toujours travaillé en République dominicaine se dirigent vers la Cour constitutionnelle de Santo Domingo, pour contester leur expulsion, le 25 juin. (Photo Erika Santelices.AFP)
publié le 25 août 2015 à 16h01

L’Europe n’est pas la seule à avoir des problèmes avec ses migrants. Depuis septembre 2013, Haïti et la République dominicaine, deux pays situés sur l’île caribéenne d’Hispañola, font face à un différend migratoire à l’origine de nombreuses tensions. La Cour constitutionnelle dominicaine a en effet décidé que «les enfants nés dans le pays de parents étrangers en transit n’ont pas la nationalité dominicaine». Robin Guittard, responsable des campagnes de l’équipe caraïbe d’Amnesty international, explique que sont concernées des personnes nées en République dominicaine de parents étrangers sans papiers mais qui ont pu à un moment donné obtenir un acte de naissance, identifiés par le gouvernement dominicain comme appartenant au «groupe A». L’arrêté est rétroactif : concrètement, des personnes nées entre 1929 et 2010 qui avaient déjà leurs papiers perdent leur nationalité domicaine.

Ainsi, depuis deux ans, plus de 66 000 personnes sont déjà rentrées en Haïti, selon les autorités dominicaines. En plus des Dominicains descendants d'Haïtiens, sont concernés des migrants venus d'Haïti qui vivent en République dominicaine. L'Organisation internationale pour les migrations estime que plus de 18 % de ces retours auraient été forcés, soit près de 11 800 personnes.

«Le jugement ne cite pas explicitement la population d'origine haïtienne de l'île. Mais la réalité migratoire en République dominicaine est telle qu'aucun autre cas n'a été détecté en dehors de la population d'origine haïtienne», rappelle Robin Guittard. Un autre groupe, «le groupe B», concerne des personnes nées de parents étrangers en situation irrégulière dont la naissance n'a jamais été déclarée. Selon Robin Guittard, nées avant 2010, elles peuvent, en théorie, être considérées comme des Dominicains, suivant la précédente législation, qui garantissait le droit du sol.

Ensemble, le groupe A et B représenteraient près de 200 000 personnes. Les migrants haïtiens arrivés plus récemment sur le territoire dominicain sont aussi dans le viseur du gouvernement du président Danilo Medina.

Des dizaines de milliers d'apatrides

Face au mécontentement de la communauté internationale, le gouvernement dominicain a lancé deux «plans». Le premier, le plan national de régularisation des étrangers (PNRE), mis en place pour six mois jusqu'à février dernier, avait pour objectif d'officialiser la situation de dizaines de milliers de descendants d'Haïtiens sans papiers (groupe B). Robin Guittard critique cette procédure : «Ces personnes doivent s'inscrire comme étrangers. Mais avec quelle nationalité ? Ils sont censés obtenir un statut migratoire alors qu'ils n'ont migré d'aucun pays.» Au bout de deux ans, les personnes ayant amorcé cette procédure peuvent faire une demande de naturalisation.

Pour tenter de faire face aux critiques, le gouvernement domicain a publié le nom de 55 000 personnes ayant été déclarée à la naissance (le groupe A). Ces personnes devraient retrouver leurs documents. «Mais la situation est loin d'être simple puisque c'est la Commission électorale centrale, qui autrefois refusait de renouveler les papiers d'identités des descendants d'Haïtiens, qui est aujourd'hui chargé de les restituer. De plus, ces personnes sont répertoriées dans un nouveau livre, comme si elles étaient désormais listées», explique Robin Guittard.

La situation n'est pas sans précédent en République dominicaine. Dès 2005, la Cour américaine des droits de l'Homme critiquait le pays pour ses interprétations de la loi de nationalité. «Si la situation s'est aujourd'hui aggravée, c'est parce que le jugement de 2013 valide une politique mise en place depuis des décennies. Au moment de renouveler leurs papiers, les requêtes des descendants haïtiens étaient refusées ou alors la nationalité était refusée aux nouveaux-nés», dit l'expert d'Amnesty International.

La polémique actuelle entre Haïti et la République dominicaine remonte à 2008, avec la poursuite d'une jeune mère de deux enfants, Juliana Deguis Pierre. Le renouvellement de sa carte d'identité lui a été refusé, alors qu'elle disposait d'un acte de naissance qui la reconnaissait en tant que Dominicaine. C'est sur son cas que s'est fondé le jugement de 2013. Pour Robin Guittard, la situation est d'autant plus complexe que les parents de la jeune femme, Haïtiens, sont arrivés comme beaucoup d'autres tout au long du XXe siècle, suivant les accords entre les deux voisins, quand la République dominicaine avait un besoin de main d'oeuvre bon marché pour le travail de la canne à sucre. «Lorsque ces personnes n'ont pas d'autre nationalité, elles se retrouvent apatrides. Cette loi est discriminatoire et viole des principes de bases comme celui de non-rétroactivité de la loi. Par ailleurs, il n'est pas possible de retirer sa nationalité à quelqu'un si le résultat est de le rendre apatride», insiste Robin Guittard.

Une situation polémique

Les autorités dominicaines affirment vouloir clarifier une situation résultant de décennies d’immigration illégale en provenance d’Haïti. Selon les chiffres officiels, 8 immigrés sur 10, majoritairement Haïtiens, vivraient illégalement en République dominicaine. La République domicaine, plus riche, continue d’attirer beaucoup de migrants haïtiens, qui viennent y chercher du travail, Haïti étant un des pays les plus pauvres du monde. Ce sont les personnes qui sont concernées par le deuxième plan des autorités dominicaines, un plan de «régularisation» afin d’obtenir un permis de travail temporaire. Cependant, le programme, mis en place pour une durée de dix-huit mois, a pris fin le 17 juin dernier. Les personnes qui n’ont pas pu réaliser les démarches vivent aujourd’hui dans la crainte de l’expulsion.

Des ONG des droits de l'homme pensent que cette nouvelle politique migratoire s'explique par le racisme et la xénophobie que ressentirait la République dominicaine à l'encontre de la population noire haïtienne. Les Etats-Unis ont appelé la République dominicaine à «éviter des expulsions de masse». Les autorités haïtiennes ont manifesté leur désarroi face aux flux de personnes qui arrivent désormais sur leur territoire. De plus, le site d'information haïtien Alterpresse affirme que «l'Etat haïtien a de nouveau affirmé ne pas vouloir accueillir sur son territoire des personnes en situation d'apatridie».