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Portrait

Angela Merkel fait un pas de plus vers les migrants

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
La chancelière a converti la droite à une ouverture envers les étrangers. Elle l’a confirmé mardi en informant que les Syriens seraient accueillis en Allemagne, et mercredi en visitant un foyer de réfugiés incendié.
La chancelière allemande Angela Merkel le 26 août à Heidenau. (Photo Tobias Schwarz. AFP)
publié le 26 août 2015 à 19h36

La chancelière allemande a-t-elle réagi trop lentement pour condamner l'attaque d'un foyer de demandeurs d'asile le week-end dernier par des manifestants néonazis dans la petite ville saxonne d'Heidenau ? Cette question, qui échauffait encore les réseaux sociaux jusqu'à peu, ne se pose plus. Mercredi, Angela Merkel est en effet allée rendre visite aux demandeurs d'asile d'Heidenau. Et en dépit des sifflets de 200 à 300 manifestants d'extrême droite qui ont profité de la couverture médiatique, elle y a condamné sans ambiguïté ces débordements haineux.«Il faut le dire clairement : il n'y aucune tolérance vis-à-vis de ceux qui remettent en question la dignité d'autrui», a-t-elle prévenu.

«Indigne». Mardi, l'Allemagne avait annoncé qu'elle renonçait à renvoyer les Syriens vers leur pays d'entrée dans l'UE, décision déjà discrètement mise en œuvre. «L'Europe est dans une situation qui n'est pas digne de l'Europe, il faut tout simplement le dire», a lancé Merkel.

La veille, elle avait aussi condamné les violences «abjectes» des militants d'extrême droite à Heidenau, considérant «tout aussi honteux que […] même des familles avec enfants les soutiennent». «Dans cette affaire, on peut se dire que la police saxonne, qui compte 31 blessés, aurait pu réagir plus rapidement et que les autorités régionales devront peut-être rendre des comptes sur la gestion de la situation», estime l'un des principaux spécialistes allemands de l'extrême droite et des questions migratoires, Hajo Funke .

«Mais la réalité, c'est que les sondages montrent que 60 % de la population allemande voit les choses de manière positive et pense que l'Allemagne est capable de faire face au défi de l'intégration de centaines de milliers de réfugiés. De très nombreuses initiatives privées d'aide aux réfugiés ont déjà vu le jour. C'est un fait totalement inédit dans l'histoire allemande», estime le professeur Funke, qui considère qu'au terme d'un processus d'apprentissage démarré dans les années 90, «les grands partis politiques démocratiques, à quelques exceptions près, ont peu à peu cessé d'utiliser les questions de l'immigration, de la nationalité et du droit d'asile à des fins idéologiques et politiciennes. Sur ce point, Mme Merkel a toujours joué la carte de l'ouverture. Sur la question des étrangers, elle n'est ni national-conservatrice, ni même conservatrice».

Si Angela Merkel n'a pas particulièrement innové, les experts s'accordent cependant sur un point : c'est bien sous sa houlette que la droite allemande a accepté l'immigration. «Sans le dire clairement, elle a inscrit son action dans la ligne impulsée par les gouvernements rouge-vert [le SPD et Die Grünen, équivalents respectifs du Parti socialiste et d'Europe Ecologie-les Verts, ndlr], et de Schröder [l'ex-chancelier SPD] qui ont rénové le droit de la nationalité et mis l'accent sur l'intégration des étrangers», précise Hajo Funke.

Mains-d'œuvre. Les gouvernements Merkel successifs ont peu à peu modernisé le droit des étrangers et simplifié le droit d'asile, notamment en facilitant leur accès au marché du travail. Le renforcement du dialogue interculturel et interreligieux ou encore la question de l'enseignement de l'islam à l'école ont aussi conduit à la création de la Conférence sur l'islam, un cadre permanent de rencontres entre représentants des communautés religieuses musulmanes et de l'Etat fédéral. De manière générale, on peut constater la volonté d'ouverture du monde politique allemand, qui s'est engagé en faveur d'un discours positif à l'égard des étrangers.

D’autres facteurs ont également joué. Le vieillissement démographique de l’Allemagne, conjugué à une économie high-tech qui tourne à plein régime, laisse prévoir une pénurie croissante de main-d’œuvre qualifiée. Aujourd’hui, les patrons allemands ont donc rejoint le chœur de ceux qui veulent accueillir et intégrer les étrangers le plus vite et le mieux possible. Le PDG de la Poste, Frank Appel, a récemment rappelé que l’économie avait 500 000 postes vacants et a promis d’embaucher des réfugiés dès que leur situation juridique le permettra.

«On peut reprocher aux gouvernements successifs de ne pas avoir suffisamment combattu la violence et les débordements de l'extrême droite allemande. Dans le même temps, paradoxalement, l'existence d'une frange dure de quelques milliers de néonazis prêts à tout peut expliquer pourquoi nous n'avons pas vu s'établir chez nous un parti nationaliste et xénophobe. Si l'on prend l'exemple de Pegida et du parti eurosceptique Alternative pour l'Allemagne, on note ainsi que ces deux mouvements, qui auraient pu adopter ce rôle, ont chaque fois été débordés et discrédités par ces éléments violents», analyse Funke. Résultat, la droite «merkelienne», qui n'a pas non plus manqué de constater que la droitisation de l'UMP sous Sarkozy avait avant tout profité au FN, a toujours refusé d'écouter les sirènes xénophobes.