Il y a le symbole : la visite, mercredi 26 août, d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile à Heidenau (Saxe) récemment attaqué. Et il y a surtout les mots : «Cette situation n'est pas digne de l'Europe.» Angela Merkel tranche par son courage politique dans un Vieux Continent qui multiplie les murs face à l'afflux de migrants. Les ex-pays de l'Est sont les plus hostiles, comme la Hongrie du très nationaliste Viktor Orbán, qui verrouille sa frontière et y déploie l'armée (lire ci-contre).Les autres, à commencer par le Royaume-Uni et la France, traînent les pieds alors que ceux en première ligne, comme l'Italie et la Grèce, sont submergés par les arrivées. Seules à tenir cette position, les autorités allemandes ont déjà annoncé, mardi, qu'elles cessaient de renvoyer les demandeurs d'asile syriens vers leur premier point d'entrée dans l'Union européenne, suspendant en pratique l'application du règlement de Dublin. «Nous saluons cet acte de solidarité européenne», a déclaré, à Bruxelles, Natasha Bertaud, porte-parole de la Commission européenne.
Pédagogie. Cette année, l'Allemagne prévoit d'accueillir 800 000 Asylbewerber (demandeurs d'asile), soit quatre fois plus qu'en 2014. Un chiffre trois fois plus élevé que celui de la France cette année-là. Face à ce défi, la chancelière, comme ses partenaires de coalition sociaux-démocrates et la plus grande partie de la classe politique d'outre-Rhin, a choisi une pédagogie active vis-à-vis de l'opinion. Un exemple à méditer, tout particulièrement en France, où la peur d'alimenter les scores du Front national incite la classe politique à faire profil bas. Toujours prompte à monter en épingle le modèle allemand, la droite, y compris ses franges les plus modérées, reste bien discrète quand elle n'hésite pas à en rajouter, comme Nicolas Sarkozy, qui, en juin, avait comparé l'afflux de migrants à «une fuite d'eau». Le gouvernement est embarrassé, tout en affirmant vouloir trouver un équilibre entre «humanité et fermeté». François Hollande, lors du discours aux ambassadeurs, a souligné à raison que le nombre de réfugiés est le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et que ce mouvement migratoire va durer. Le président français insiste surtout, comme il l'a fait le 24 août à Berlin aux côtés d'Angela Merkel, sur la nécessité «d'une réponse unifiée de l'Europe».
Perception différente. Mais quand, en mai, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait évoqué des quotas de réfugiés à répartir entre les «28», Paris était monté au créneau, comme la plupart des autres capitales européennes, avant de se résigner à un service minimum.
Selon un sondage Viavoice-Libération publié en juillet, seuls 10% des Français se déclarent prêts à accepter plus de migrants. Une proportion inverse à celle de l'Allemagne, où, selon un récent sondage de la chaîne de télévision ZDF, 60% des Allemands estiment que leur pays peut absorber ce flot. Une différence de perception du phénomène migratoire qui s'explique aussi par l'attitude et le travail d'explication des élites politiques et économiques.
L'Allemagne se veut, selon ses propres mots, un «super pays d'intégration». C'est autant une chance qu'une nécessité pour une économie remise sur pied par les réformes de Gerhard Schröder mais en manque de main-d'œuvre, qualifiée ou non. Le principal danger est un inexorable déclin démographique. D'ici quinze ans, il pourrait manquer jusqu'à six millions d'actifs à la machine économique allemande. Une grande partie de la population a conscience de ces enjeux et les mouvements xénophobes, comme Pegida, restent marginaux. Mieux, beaucoup d'Allemands se mobilisent. Une jeune femme, qui se mariait dimanche en Autriche près de la frontière par où affluent les migrants, avait écrit sur le carton d'invitation : «N'apportez pas de cadeaux mais de quoi aider les réfugiés, ils ont besoin de tout.»