Alors qu’Angela Merkel était à Vienne jeudi pour convaincre les pays des Balkans de retenir leurs ressortissants tentés de demander l’asile en Europe, elle a été rattrapée par la sordide réalité. Un drame de migrants a bousculé les agendas, à seulement quelques dizaines de kilomètres du palais de la Hofburg qui abritait le mini-sommet, plongeant les participants dans l’effroi. En fin de matinée, un employé de la compagnie autrichienne des autoroutes a découvert un camion réfrigérant, étrangement garé sur la bande d’arrêt d’urgence de la voie rapide qui relie Vienne à Budapest.
A quelques kilomètres de la frontière entre l’Autriche et la Hongrie, sur cette route tragique empruntée massivement par les réfugiés depuis plusieurs mois, il s’est inquiété de l’absence prolongée du conducteur, mais surtout de cette eau froide qui coulait abondamment, à l’arrière du véhicule immatriculé en Hongrie.
Il a appelé la police et les forces de l’ordre ont découvert les corps d’au moins vingt migrants, vraisemblablement morts asphyxiés, selon des médias autrichiens. Depuis, les autorités recherchent le conducteur du véhicule, de nationalité roumaine. On ne connaît ni le pays d’origine des victimes ni la date de leur décès. Une expertise médico-légale est en cours.
Ce drame est le plus grave survenu en Europe depuis la découverte, en juin 2000, de 58 migrants chinois dans un conteneur à Douvres (Royaume-Uni) en provenance des Pays-Bas. Après plusieurs tragédies similaires mais de moindre intensité tout au long du mois d’août, l’Europe doit admettre que les migrants ne meurent pas seulement en Méditerranée, mais aussi sur les routes qui mènent à l’eldorado occidental.
avertissement
Immédiatement informée du drame, Angela Merkel a modifié ses plans. La chancelière devait, à l'origine, tenir un discours de fermeté à l'encontre des dirigeants serbes, albanais, kosovars ou macédoniens, accusés de ne rien faire pour retenir leur jeunesse. 40 % des demandeurs d'asile en Allemagne sont originaires des Balkans. Devant les caméras, elle a sobrement déclaré que cette «terrible» nouvelle constituait «un avertissement» pour l'Europe, incapable de mener une politique commune d'asile, face au plus grand défi humanitaire qu'ait connu le continent depuis la Seconde Guerre mondiale. Une minute de silence a été observée, sous les dorures baroques de la Vienne impériale. Courte trêve dans un dialogue de sourds. Car toute la matinée, Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des Affaires étrangères, flanqué de son homologue autrichien Sebastian Kurz, avait martelé que leurs deux pays avaient atteint leurs capacités maximales d'accueil. Le Viennois a menacé ses voisins du Sud d'introduire des mesures plus musclées contre les migrants, dont «des contrôles plus stricts à la frontière» si l'UE échouait à trouver une réponse unitaire. «L'Autriche a plus de migrants que l'Italie et la Grèce combinées, a-t-il déclaré. On ne devrait pas prétendre qu'ils sont les seuls pays affectés.»
En Autriche, le nombre de demandes d’asile devrait atteindre 80 000 cette année et la société civile est plus divisée que jamais, entre ceux qui rappellent la tradition d’accueil du pays et ceux chez qui les drames qui se succèdent provoquent une réaction de repli.
gifle
Le centre de premier accueil de Traiskirchen, à quelques kilomètres de la capitale, a été récemment épinglé par Amnesty International : des milliers de mineurs y sont livrés à eux-mêmes dans des conditions sanitaires effroyables, dormant dans des parcs, alors que le gouvernement s’est montré incapable d’imposer aux communes des quotas pour répartir les demandeurs d’asile sur tout le territoire. Une gifle pour l’un des pays les plus riches de la planète et pour deux millions de Viennois qui pensaient habiter un pays de cocagne.
Vienne et Berlin craignent une multiplication des situations conflictuelles, car les agressions à l'encontre des réfugiés se multiplient. La chancelière a reconnu que les nations des Balkans de l'ouest font face à «d'énormes défis». «Il est de notre responsabilité d'aider ces pays», a-t-elle ajouté. Mais son gouvernement veut mettre un terme à l'immigration clandestine originaire des Balkans, alors que pour les spécialistes, le flot en provenance de la région ne peut que grossir.
Crise politique en Bosnie, mafia incontrôlable en Macédoine, chômage de masse au Kosovo : la vie est de plus en plus difficile dans ces pays qui n’ont pas la perspective d’intégrer l’Union européenne à moyen terme, et dans lesquels l’influence de la Russie et de l’islamisme radical augmente.
Discrètement, l'Autriche anticipe une arrivée massive de migrants à l'automne et veut que la distinction soit faite en amont, dans les pays du Sud, entre les réfugiés originaires du Moyen-Orient et d'Afghanistan et les «migrants économiques», qui rêvent d'une vie meilleure loin de leurs pays pourtant classés comme «sûrs» par Bruxelles.De passage rapidement à Vienne, Harlem Désir, le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, a d'ailleurs soutenu à Libération le principe de «centres d'enregistrement des migrants» aux frontières extérieures de Schengen, pour faire la distinction entre «migrants économiques» et «vrais réfugiés». La Commission européenne devrait participer, selon lui, à leur financement. Alors que les pays des Balkans s'estiment victimes de la politique migratoire de l'Union, qui encourage de fait le recours à des passeurs, Bruxelles doit annoncer une aide à la région, afin de pallier l'absence d'infrastructures.
Extrême droite
Vienne veut aussi proposer un plan d’action concertée en Europe, qui s’attaquerait aux trafiquants d’êtres humains. Une annonce principalement destinée à l’opinion autrichienne. Lorsque la voisine hongroise aura terminé de construire son mur à la frontière serbe, la route des Balkans va dévier vers la petite Slovénie et ses deux millions d’habitants. Les migrants arriveront alors non plus de l’est de l’Autriche, du Burgenland, une région gouvernée en coalition entre les socialistes et l’extrême droite, mais depuis la Carinthie, l’ancien fief de Jörg Haider, ruiné par la gestion calamiteuse du tribun et que l’on surnomme la «Grèce de l’Autriche», tant elle croule sous les dettes. Ses habitants sont vent debout contre cette perspective et l’extrême droite est à nouveau numéro 1 dans les sondages.