Menu
Libération
TRIBUNE

La loi anti-Ceausescu fait débat

Le président roumain a promulgué cet été une loi interdisant et sanctionnant le culte des personnes coupables de génocide. Cette loi cache d’autres enjeux pour la normalisation de la démocratie roumaine.
publié le 1er septembre 2015 à 18h06

Cette loi que certains se sont empressés d’appeler «la loi anti-Ceausescu» dissimule un projet législatif plus large, initié par le leader libéral Crin Antonescu, qui vise à enrayer une certaine tendance, très répandue dans les pays de l’Est, à promouvoir les ex-leaders, communistes ou fascistes. Quiconque fera l’apologie de personnes reconnues coupables de génocide, crime contre l’humanité, ou de guerre, sera susceptible d’être poursuivi pénalement et encourra une peine allant jusqu’à trois ans de prison. Mais la loi ne s’arrête pas là et s’étend jusqu’à la promotion publique, par tous moyens, de concepts, d’idées ou doctrines fascistes, racistes ou xénophobes, sans toutefois viser le communisme, qui fit pourtant de nombreux ravages dans le pays.

Pourtant, bien plus que le régime communiste et son leader emblématique Ceausescu, c’est le nationalisme roumain qui est visé, dans la mesure où toute personne qui nierait, contesterait, approuverait, minimiserait ou justifierait l’Holocauste ou ses effets, pourra être poursuivie. Andrei Muraru, conseiller présidentiel et ex-directeur de l’Institut d’investigation contre les crimes du communisme en Roumanie, met en garde contre la non-application de cette nouvelle loi. Il appelle donc l’Etat à assister les instances judiciaires dans sa compréhension et la qualification des faits auxquels elle pourrait s’appliquer. Personne n’a encore été inquiété à ce sujet, pas même l’association des amis de Ceausescu, et les autorités ne semblent pas vouloir réagir.

Même s’il existait déjà une instance chargée de combattre l’antisémitisme, le Centre de surveillance et combat contre l’antisémitisme, il n’y a jamais vraiment eu de condamnation significative contre les propos antisémites, véhiculés par la classe politique elle-même. Aussi, cette nouvelle loi semble transmettre un message plus clair. On n’est pas prêt de revoir des officiels porter l’uniforme nazi, comme l’ex-maire socialiste de Constanta, Radu Mazare, lors d’un défilé de mode, en 2009.

On peut s’étonner qu’il ait fallu à la Roumanie près de vingt-cinq ans pour promulguer une telle loi, mais il faut rappeler qu’au lendemain de la chute du régime communiste, la liberté d’expression était considérée comme le bien le plus important du peuple, qui en avait été privé pendant près d’un demi-siècle ; sous le régime communiste, un seul mot pouvait vous envoyer en camp de rééducation. C’est sur ce terrain que les nostalgiques du dictateur Antonescu et du «Mouvement légionnaire» se mobilisent. Pour de nombreux Roumains, cette loi est surtout vue comme une menace de plus venue de Bruxelles et Washington, une nouvelle tentative de l’Occident de modeler l’histoire dans une vision unitaire. Bien plus, accusé d’instrumentaliser la loi à des fins personnelles, le socialiste Ciprian Nica, ex-collaborateur de la Securitate, est dans le viseur des médias. La loi, dont il est l’un des porteurs, mettrait en péril les piliers du patrimoine roumain tels que Cioran et Eliade, dont les œuvres pourraient être interdites. Ces mesures renvoient aux années noires du communisme, lorsque la censure régnait. La Roumanie s’est toujours sentie lésée à cause des conséquences de la Seconde Guerre mondiale, l’ayant fait basculer dans le camp communiste, et l’interdiction d’exprimer son admiration pour le régime d’Antonescu (1940-1944) apparaît comme une nouvelle barrière à la réconciliation historique entre l’Ouest et l’Est. Pour certains, cette loi vise à mettre au banc de l’histoire la contribution des Légionnaires (les miliciens du régime Antonescu), qui ont constitué le plus gros des effectifs de la résistance anticommuniste et qui, pour la plupart, ont été décimés dans les camps. La crise ukrainienne semblait avoir levé les doutes quant à l’adhésion des Roumains aux valeurs européennes, cette loi divise à nouveau la société et fait basculer de plus en plus de citoyens, dans le camp pro-Poutine. Présenté comme un monstre par les leaders politiques et les médias roumains, le président russe séduit par son discours agressif à l’encontre de l’Occident, endossant le rôle du rebelle, si séduisant aux yeux de certains.