Angela Merkel, lundi, n'en a pas seulement appelé à la dignité et à la raison des dirigeants européens. Elle a aussi présenté l'accueil et l'intégration des milliers de demandeurs d'asile comme une grande cause nationale. «L'Allemagne est un pays fort», qui a la capacité de les accueillir, a-t-elle assuré. Ce faisant, la chancelière allemande ne fait que rattraper l'étonnante vague de solidarité et d'engagement dont ses concitoyens font preuve depuis déjà plusieurs mois. «Comment louer légalement une chambre à un réfugié», «10 recettes pour aider les réfugiés» ou encore «Volontariat : à qui s'adresser ?» : du grand quotidien populaire Bild Zeitung jusqu'à la «feuille de chou» locale en passant par le Web et les télévisions, pas un média allemand n'a fait l'impasse sur la rubrique «infos pratiques» pour aider les réfugiés. Sur les télévisions également, où déclarations et appels de responsables politiques et associatifs se succèdent, le doute n'est pas permis et l'on paraphrase volontiers le président de la République fédérale, Joachim Gauck, qui encense l'Allemagne «lumineuse» contre l'Allemagne «obscure et xénophobe». Et quelque 60 % des Allemands appuient ces positions, selon un sondage ZDF.
«L'ampleur du mouvement de solidarité est exceptionnelle. Nous avons partout des listes d'attente de volontaires. La variété des initiatives privées est aussi un indicateur important. L'aide ne se cantonne pas aux dons de vêtements et de nourriture. Elle concerne l'aide administrative, les cours de langue, l'encadrement et la scolarisation des enfants, le transport, etc.» raconte Claudia Beck, porte-parole de Caritas Allemagne, le grand organisme d'aide sociale de l'Eglise protestante. Sur le terrain, l'affluence ne se dément pas. Quand l'association locale hambourgeoise Refugees Welcome Karoviertel organise une réunion d'information, plus d'un millier de personnes y assistent. Et à Berlin, l'initiative Moabit Hilft (soit «Moabit aide», du nom d'un quartier de Berlin), qui reçoit chaque jour une centaine de demandes de volontaires potentiels, a récemment dû transférer une partie de ses activités aux administrations et ONG locales, faute de pouvoir contrôler son développement exponentiel. «Cette forte solidarité n'est pas totalement inattendue. En fait, nous notons un engagement accru auprès des réfugiés dès 2013. Depuis, la tendance n'a pas faibli», constate Claudia Beck.
«Légitimité». Les explications sont multiples. «Nous avons une classe politique qui a un discours globalement positif sur la question de l'accueil des étrangers depuis plusieurs années, à gauche mais aussi à droite. Par ailleurs, nous avons une population réfugiée qui comporte des groupes venant de Syrie, d'Irak, de Lybie, d'Erythrée, d'Ukraine, etc., bref des réfugiés politiques dont personne ne doute qu'ils fuient l'horreur et l'oppression. La légitimité des demandes d'asile est donc forte», analyse le politologue berlinois Hajo Funke.
Pour Claudia Beck, l'histoire allemande joue aussi son rôle. «Nombreux sont les Allemands plus âgés qui ont été eux-mêmes des réfugiés», rappelle-t-elle. Forcément, Johanna, née à Berlin-Est, partage cette position : «Moi-même, j'ai été accueillie au camp bavarois de Zirndorf après ma fuite de RDA en 1988. Aujourd'hui, ce sont des Ethiopiens et des Syriens qui y logent. Mon histoire n'est pas comparable, mais j'imagine bien leur désorientation.» Bien sûr, le faible niveau de chômage et la bonne santé économique du pays sont pour beaucoup dans le positivisme de nos voisins. Dans son «Radar annuel de la cohésion sociale 2014», la Fondation Bertelsmann, plus gros think tank privé d'Allemagne, note d'ailleurs que la cohésion sociale s'est nettement renforcée en Allemagne depuis les années 90. Pour Birgit Naujoks, secrétaire générale du Conseil régional pour les réfugiés de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la volonté de faire profiter autrui de son bien-être, et surtout de le faire en personne, est une autre explication.
Quelques fausse notes. Cette extraordinaire vague de sympathie va-t-elle se maintenir à long terme ? Aussi positive soit-elle, la Fondation Bertelsmann livre quelques fausses notes : «Si les Allemands se montrent de plus en plus ouverts à la présence et à l'engagement des étrangers dans la vie du pays, dans le même temps, ils semblent moins prêts à accepter la présence à long terme de cultures traditionnelles étrangères», constatent les auteurs de l'étude, qui se demandent si cette tendance négative n'est que passagère ou si elle pèsera plus tard pendant la longue phase d'intégration qui s'annonce. Ces doutes, liés aux attaques récentes de foyers de demandeurs d'asile, ont ainsi conduit la rédaction de Der Spiegel à lancer un avertissement à ses lecteurs : «Entre l'Allemagne lumineuse et l'Allemagne obscure, c'est à nous de choisir comment nous voulons vivre !» rappelle le premier newsmagazine d'Allemagne.