«People have the power» : c'est au son du célèbre tube de Patti Smith que s'est achevé, jeudi soir, le premier meeting à Athènes d'Aléxis Tsípras, pour les élections du 20 septembre. En janvier, «le pouvoir au peuple» était l'un des slogans de Syriza.
Date symbolique, le rassemblement avait lieu un 3 septembre, jour qui commémore en Grèce «le coup d’Etat démocratique» contre le roi allemand du pays, en 1843. Mais 172 ans plus tard, le peuple a-t-il encore le pouvoir ? Six mois de dures négociations avec les créanciers du pays, et notamment avec l’Eurogroupe, ont mis un terme brutal aux rêves des lendemains qui chantent.
L'accord, signé le 13 juillet par une Grèce au bord de l'asphyxie économique, impose au contraire de nouvelles mesures de rigueur au pays. En retournant aux urnes, après que les «frontistes» de son propre camp ont refusé d'entériner le vote de certaines de ces mesures le 14 août, Tsípras met ses électeurs à rude épreuve : le soutenir alors qu'il a finalement capitulé face aux exigences des créanciers ? Ou le sanctionner pour avoir perdu cette bataille, tout en accentuant les difficultés économiques du pays ? «La Grèce ne s'était pas réveillée un beau matin avec le cœur à gauche, ceux qui ont voté Syriza en janvier voulaient avant tout la fin de l'austérité», rappelle un cadre du parti. Oui, mais voilà désormais le parti de Tsípras contraint d'appliquer à son tour des mesures impopulaires, même si ses lieutenants affirment pouvoir en limiter la portée.
Jeudi soir, lors du premier meeting athénien d'une gauche grecque désormais divisée (les «frontistes» de Syriza au Parlement, ayant fait finalement sécession en créant leur propre parti : Unité populaire), Tsípras a bien tenté de remobiliser les troupes, en rappelant l'ampleur du «combat livré seul contre tous» à Bruxelles, lors de «nuits sans sommeil» et de «confrontations ni diplomatiques ni courtoises» au sein de l'Eurogroupe. S'estimant acculé au renoncement, le Premier ministre sortant veut convaincre qu'il a sauvé les meubles, alors que ses opposants, conservateurs ou socialistes, «ont, eux, toujours cédé» aux exigences des créanciers.
Au coude à coude
A Aigaleo, vaste banlieue populaire de l'ouest d'Athènes, la foule semblait acquise à sa cause. Mais le discours passe parfois mal auprès d'un électorat grec humilié d'avoir suivi les injonctions de Tsípras à défier les créanciers lors du référendum du 5 juillet en votant massivement «non» (62%), avant de se retrouver au bord de la faillite et de voir son vote se transformer en «oui» avec la signature d'un accord qui «limite la souveraineté du pays», comme le reconnaît un cadre de Syriza.
Résultat de cette abdication, les sondages donnent désormais Syriza et les conservateurs de Nouvelle Démocratie au coude à coude. Avec, parfois, une légère avance pour Nouvelle Démocratie (20,3% des intentions de vote contre 20% pour Tsípras jeudi, avant que Syriza ne repasse en tête vendredi).
Le retour de la droite aux affaires après une simple parenthèse de la gauche ? Le scénario est possible, mais en réalité les élections se joueront à pile ou face. Comme le soulignait le 30 août, le quotidien conservateur Kathimerini, «Syriza garde intacte une grande partie de ses forces internes», alors que les «frontistes» d'Unité populaire, qui ambitionnaient d'incarner l'héritage du «non» au référendum, ne dépassent guère les 3 ou 4% dans les sondages.
Par ailleurs, dès qu'on s'éloigne du choix précis du vote d'un électorat désormais extrêmement volatile, les résultats aux questions posées offrent une autre image : 70% des Grecs soutiennent le principe d'un accord avec l'Eurogroupe, et 64% estiment que Tsípras «a fait ce qu'il a pu».
Bien plus, à la question : «Qui serait le meilleur Premier ministre du pays ?» 36% des Grecs répondent Tsípras contre 30% pour Evángelos Meïmarákis, le leader par intérim de Nouvelle Démocratie, qui a succédé à Antónis Samarás en juillet.
Abstention des déçus
Âgé de 61 ans, Meïmarákis mène, il est vrai, une campagne offensive, n’hésitant pas à afficher une virilité décomplexée et un langage populaire que la presse grecque se délecte de décoder, tant certaines expressions relèvent d’un argot oublié.
Le nouveau chef de la droite grecque est habitué au langage fleuri et avait même créé le scandale, il y a trois ans, lorsqu'il avait accusé un autre membre de son parti de trop flirter avec les médias, en lui déclarant : «Au lieu de sucer celle de Chatzinikolaou [célèbre journaliste local, ndlr], tu devrais plutôt sucer la mienne.» Le destinataire de cette élégante sortie publique à l'Assemblée, Prokópis Pavlópoulos, est désormais président de la République. Et l'on imagine aisément l'ambiance lors de la passation de pouvoirs, si jamais Meïmarákis devenait Premier ministre au lendemain des élections.
«Je n'y crois pas, Syriza restera le premier parti», affirme pour sa part Giórgos Katroúgalos, ministre du Travail dans le dernier gouvernement de Tsípras. «Nouvelle Démocratie a quasiment saturé sa capacité de mobilisation mais n'atteint même pas, pour l'instant, son score de 28% obtenu en janvier», rappelle-t-il. Reste que l'abstention des déçus, surtout chez les jeunes qui avaient voté à 85% «non» au référendum, pourrait aussi pénaliser Tsípras.
«Tout se jouera dans les derniers jours», prédit pour sa part Katroúgalos, en évoquant cette campagne électorale très serrée, hantée par la perspective d'une Assemblée sans majorité claire, qui ferait alors entrer la Grèce dans une nouvelle zone de turbulences.