Cet ancien poste frontière entre l'Autriche et la Hongrie ne pensait pas revoir un jour autant de voyageurs faire halte ici. Désaffecté, il n'abrite plus que les activités commerciales d'une immense maison close et d'une station-service toute jaune, où l'on ne s'arrête que rapidement. Mais depuis la nuit dernière, déjà 6 500 migrants, pour la plupart des réfugiés syriens et des Afghans, le considèrent maintenant comme la porte d'entrée vers la Terre d'accueil, cet Occident qui les fait tant rêver.
L'immense plateforme de béton est située en marge d'une commune banale de 1 700 habitants. Elle a été noyée sous une pluie battante et glaciale toute une partie de la matinée ; on a distribué de grandes couvertures brunes, qui donnent à la scène un caractère de catastrophe naturelle, d'autant plus que les hélicoptères ne cessent de tourner au-dessus.
Des bus, réquisitionnés auprès de la compagnie publique régionale, défilent aussi. «Malgré le temps, c'est la partie la plus agréable de mon périple», confie, tout sourire, Bachar al-Butrus, un étudiant ayant fui Damas il y a trente jours et qui attend, dans une colonne étrangement calme, de pouvoir monter dans le véhicule et rejoindre Vienne, à une petite heure de route. «Les Hongrois nous ont laissés de l'autre côté de la frontière. On a marché jusqu'ici. On a trouvé des gens très gentils, par rapport à ceux de la gare de Budapest. J'étais resté coincé là-bas sept jours.»
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Photo AFP
«La majorité des migrants veulent continuer leur voyage vers l’Allemagne»
A l'image de tant de ses compatriotes, Monika Almer, une habitante des environs, a tenu à venir à la rencontre de toutes ces personnes, qu'elle a vu si souvent à la télévision, et qui maintenant, enfin, se retrouvent presque devant sa porte. «Il faut aider ! Ne pas rester les bras croisés ! J'ai apporté de l'eau, des peluches et des gâteaux pour les enfants» crie-t-elle, presque libérée semble-t-il d'enfin croiser la route des réfugiés, après toutes les horreurs qu'elle a dû voir sur Internet.
Un poids-lourd, venu de Vienne, est rempli de bananes. Les familles syriennes répondent gentiment aux sourires bien intentionnés. Mais elles sont épuisées et, souvent, déjà très chargées. Les enfants en bas-âge sont surexcités. Afin de ne pas devoir dire non, des migrants jetteront donc, une fois en route, par les fenêtres du bus, les chaussures, paquets de couches et autres denrées alimentaires dont ils ne savent que faire. Le plus important, c'est de recharger son portable. Les bornes mises à disposition, sous un immense hangar, sont prises d'assaut par les hommes.
Les bus partent soit vers la gare du village, située à quatre kilomètres, où des trains spéciaux sont affrétés par la compagnie des chemins de fer ÖBB, soit directement vers la gare de Westbahnhof à Vienne. «Nous avons installé les premiers réfugiés dans une grande salle de concert, pas très loin d'ici, car ils étaient épuisés après avoir marché des heures durant», explique Christian Stella, le directeur adjoint de la police du Burgenland, la région autrichienne frontalière de la Hongrie. «Mais les capacités maximales ont vite été atteintes. La majorité des migrants veulent continuer leur voyage vers l'Allemagne. Moi-même, je suis surpris de voir autant d'enfants et de femmes. Ces populations de migrants ne sont pas les mêmes que celles que l'on voit d'habitude par ici. C'est un défi supplémentaire pour la Croix-Rouge.»
Sur le chemin vers Nickelsdorf, après la descente du bus. Photo AFP.
Les autres migrants laissés de côté
Les réfugiés rigolent avec les policiers ; en anglais, ils tentent d'échanger quelques mots. Ces forces de l'ordre d'un nouveau genre, avenantes et chaleureuses, ils en avaient rarement croisé jusqu'ici. «Ils ne sont pas comme les policiers hongrois», relève Shireen Maban, qui a fui Alep avec toute sa famille il y a vingt jours, pour emprunter la route périlleuse des Balkans. «On a failli se noyer à Izmir, en Turquie, quand le bateau des passeurs s'est retourné, explique-t-elle. Je suis restée trois heures dans l'eau. En Macédoine, le train, c'était horrible. En Serbie, ils nous ont pris nos papiers. En Hongrie, ils voulaient nos empreintes. Le camp là-bas, c'était affreux aussi. Maintenant, on part pour l'Allemagne, mais j'espère pouvoir continuer mon voyage vers la France. Je rêve d'aller à Lyon.»
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Une fois à Vienne, les réfugiés découvrent – souvent après avoir dormi durant tout le trajet – un comité d'accueil exceptionnel. Les ONG et une multitude de bénévoles attendent leur arrivée depuis des jours. Là encore, comme un défi au Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a jeté ces familles sur la route en pleine nuit, c'est une distribution d'amour… sous les yeux un rien désabusés de Bangladais et de Pakistanais, coincés ici depuis des semaines. «Ces Syriens se croient tirés d'affaires», ironise tristement, dans un allemand parfait, un demandeur d'asile soudanais, qui assiste à la scène avec ses deux compagnons d'infortune. «Mais l'aventure commence vraiment maintenant pour eux. Cela fait huit ans que j'attends que ma demande d'asile soit examinée par l'Autriche.»