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Libération

En Allemagne, un vent de solidarité

Tournant le dos au passé, le pays, emmené par Angela Merkel, ouvre grand ses portes et débloque 6 milliards d’euros.
Refugees arrive at the main station in Saalfeld, eastern Germany, on September 5, 2015 by train from Austria. Thousands more migrants streamed into Germany on September 6, 2015, greeted with cheers and "welcome" signs, as Pope Francis called on every Catholic parish in Europe to take in a refugee family. AFP PHOTO / DPA / HENDRIK SCHMIDT GERMANY OUT
publié le 7 septembre 2015 à 20h16

L'Allemagne attendait lundi 10 000 migrants et réfugiés en provenance d'Autriche et de Hongrie après un week-end qualifié de «saisissant et émouvant» par Angela Merkel. Munich avait vu arriver samedi et dimanche 20 000 réfugiés épuisés, pour la plupart syriens, brandissant parfois des photos de la chancelière, sous les applaudissements d'une foule en liesse à la gare. L'Allemagne, critiquée pour sa gestion de la crise de l'euro, se redécouvre en ange gardien des réfugiés syriens. «Nous sommes face à une situation exceptionnelle qui va changer le pays», assurait lundi Angela Merkel, au lendemain d'une réunion de crise à la chancellerie au cours de laquelle la coalition au pouvoir a décidé de débloquer 6 milliards d'euros pour les réfugiés en 2016. Trois milliards seront versés à l'Etat fédéral ; l'autre moitié aux Länder, qui prennent en charge le casse-tête du logement. «Ce que nous vivons va continuer de nous occuper dans les années à venir, nous changer, et nous voulons que le changement soit positif ; nous sommes convaincus que nous allons y parvenir», a assuré la chancelière, aux côtés de son ministre de l'Economie, le SPD Sigmar Gabriel.

Berlin donne le ton. Face aux réticences de plus en plus ouvertes de la CSU (droite) bavaroise, la coalition s'est également mise d'accord dimanche soir sur une simplification de la procédure d'expulsion pour les migrants déboutés, ainsi que sur une accélération de la procédure d'examen des dossiers en provenance des Balkans, dont 1 % seulement débouchent sur un permis de séjour. Enfin, certaines prestations financières seront remplacées par des avantages en nature, afin de rendre l'Allemagne moins attirante pour les migrants «économiques». Plus que jamais, la République fédérale fait la distinction entre réfugiés échappant à la guerre et ceux poussés hors de chez eux par la misère.

Alors que l'Europe peine à apporter une réponse commune, Berlin donne une fois de plus le ton. «L'Allemagne est consciente des erreurs réalisées dans les années 90, du temps de la dernière grande crise des réfugiés liée à la guerre en ex-Yougoslavie, rappelle Orkan Kösemen, spécialiste des questions de migrations à la Fondation Bertelsmann. A l'époque, avec les attaques de foyers de demandeurs d'asile et l'indifférence de la population, cela a abouti à une loi très restrictive en termes d'accès à l'asile politique. Aujourd'hui, on a honte de cette politique. Ajoutez à cela le facteur Pegida [le mouvement islamophobe né à Dresde en octobre 2014, ndlr]. La population allemande veut aujourd'hui aider les gens.»

Vieux démons. «Le monde voit l'Allemagne comme un pays d'espoir et de chances, ça n'a pas été toujours le cas», s'est réjoui la chancelière, comparant ce nouveau défi à la réunification entre les deux Allemagnes. «Angela Merkel a compris que, au-delà des réactions de rejet de la part d'une mino rité, la majorité des Allemands se sentent solidaires des réfugiés», note le magazine Der Spiegel. Fidèle à son style, elle a attendu le plus longtemps possible, laissant le reste de la classe politique prendre position, jusqu'à ce qu'un consensus se dessine dans l'opinion en faveur des réfugiés : selon un sondage de la télé publique ARD, 95 % des Allemands se félicitent du mouvement de solidarité autour des migrants. Et 45 % estiment que l'immigration est «plutôt positive pour le pays».

Mais 33% perçoivent l’arrivée des réfugiés comme une menace, en ex-RDA notamment, où une majorité de la population y est hostile. Deux incendies criminels ont éclaté ces derniers jours dans le sud-ouest et dans l’est du pays, faisant six blessés et rappelant que l’Allemagne n’est pas libérée de ses vieux démons, malgré la vague de solidarité sans précédent.