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Libération
Reportage

Migrants : bras de fer austro-hongrois

Alors que l’Autriche a accueilli avec flegme 16 000 migrants depuis vendredi soir, les relations entre Vienne et Budapest s’enveniment.
Des migrants sur un quai de la gare de Westbanhof, à Vienne, le 6 septembre 2015. (Photo Joe Klamar. AFP)
publié le 7 septembre 2015 à 15h45

Des hommes d'affaires sur leur trente et un. Des écoliers qui courent pour leur rentrée des classes. Des trains à l'heure. Et cette étonnante propreté : difficile de croire que 900 migrants ont encore dormi à la gare de l'Ouest, cette nuit. Le centre d'accueil pour les réfugiés a été déplacé dans un bâtiment tout proche, à l'extérieur. C'est une caverne d'Ali Baba. On y trouve tout ce que les Viennois ont offert aux foules de déplacés : des tonnes de bouteilles d'eau, des chariots remplis de petits pots, des montagnes de vêtements. «Pour l'instant on a tout ce qu'il faut, confirme d'ailleurs Sophie Neurad, une bénévole. La seule difficulté, c'est que les jeans et les chaussures apportés par les Autrichiens sont trop grands pour les Syriens.»

Un train, spécialement affrété par la compagnie autrichienne des chemins de fer ÖBB, a quitté la gare, en direction de Munich, avec 650 migrants. Un second convoi doit partir dans peu de temps ; il transportera cette fois 300 personnes, toujours vers l'Allemagne. Et un troisième doit quitter le village de Nickelsdorf, à la frontière orientale, dans la journée. Bref, c'est beaucoup plus calme, en ce lundi matin. Matthias Drexel peut donc souffler un peu. Il travaille pour l'association Caritas. «On sera là tout le temps qu'il faudra, affirme-t-il toutefois. Nous avons une réunion de coordination chaque matin avec la police et un responsable de l'ÖBB, car on veut savoir à peu près combien de personnes vont venir de Hongrie. Ici, nous avons quotidiennement 50 volontaires et cinq salariés» qui accueillent les migrants.

«Sont-ils prêts à accepter notre mode de vie ?»

Ce répit tombe à point nommé pour des équipes sur le pied de guerre depuis plus de quarante-huit heures. «Nous avons envoyé deux de nos employés à Budapest, pour qu'ils nous informent en temps réel de ce qui s'y passe, révèle Michael Braun, un porte-parole des chemins de fer. On travaille au jour le jour évidemment. Mais notre objectif pour la semaine qui vient, c'est que le passage des migrants puisse se faire, que l'on soit capable d'affréter encore des trains spéciaux si nécessaire, tout en gênant le moins possible le trafic régulier.» Car pendant que se déroule cette crise, exceptionnelle pour un petit pays de seulement 8,3 millions d'habitants, les Viennois continuent de voyager, de se rendre au travail. Et s'ils comprennent, dans leur majorité, la nécessité d'aider les réfugiés à rejoindre l'Allemagne dans la dignité, ils se demandent aussi jusqu'où cette crise va les mener.

«Ça paraît irréel, normalement, on voit cela à la télé», réagit par exemple Isabella Grac, 17 ans. «Il n'y a plus que ce sujet qui compte, on entend parler de rien d'autre», confirme sa copine, qui se sent personnellement «assez peu concernée». «Je crois que les médias en rajoutent un peu dans le pathos, surenchérit le jeune Stefan Huber. On a la capacité d'accueillir des milliers de personnes. La question, c'est plutôt comment va-t-on les intégrer. Quand je vois tous ces gens, je me dis qu'ils idéalisent un peu les pays occidentaux. Sont-ils prêts à accepter notre mode de vie, très libre ? Savent-ils qu'on travaille soixante heures par semaine ? Que le quotidien, au service de l'économie, est dur et stressant ici ?»

Dès le début, je n’ai pas cru Orbán

Le gouvernement autrichien sait qu'après le formidable élan de générosité du week-end dernier, qui a surpris le monde entier, les Autrichiens vont bientôt s'inquiéter d'une crise faite pour durer. Et qu'aux élections du 11 octobre, sur fond de chômage en hausse, l'extrême droite est promise à un score exceptionnel. Le chancelier autrichien, le social-démocrate Werner Faymann, s'active donc pour faire comprendre aux autorités européennes et au Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, que cette situation ne peut être que «temporaire», même dans son riche pays.

Certes, il a été le «visage humain» de l'Union européenne, avec Angela Merkel, selon la chef de la diplomatie de Bruxelles, Federica Mogherini. Oui, il s'est vu félicité pour sa gestion, au téléphone, par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon himself. Mais dès ce lundi, s'il va rencontrer ses homologues tchèque et slovaque, c'est pour tenter de les faire céder sur cette idée de répartir les réfugiés dans toute l'Union, selon ce système encore décrié des fameux quotas. Très sévère envers les autorités hongroises, il affiche ostensiblement sa bonne entente avec la chancelière allemande. Il a déjà prévenu que les frontières de son pays ne resteront pas ouvertes éternellement.

Dans une interview au tabloïd Österreich, il a accusé aussi purement et simplement l'homme fort de Budapest d'être… un menteur. «Orbán nous a dit, à Merkel et à moi, qu'il n'y aurait pas plus de 4 000 [migrants]. Dès le début, je ne l'ai pas cru», peut-on lire. Un rare indice sur la nature des relations qu'il entretient avec son voisin. Selon Faymann, en créant un tel «chaos», Orbán se serait «disqualifié politiquement». Evidemment, la réponse de l'intéressé ne s'est pas fait attendre. Le Premier ministre hongrois suggère à l'Autriche et à l'Allemagne de fermer leurs frontières et de «dire clairement» qu'aucun réfugié supplémentaire ne sera plus accueilli. Sinon, prévient-il, «plusieurs millions» de gens continueront de venir en Europe.