La présence militaire russe en Syrie n’est pas nouvelle mais de nombreux témoignages évoquent un regain de son activité.
Qu’en est-il des relations entre Moscou et Damas ?
Au cours des cinquante dernières années, l'URSS, puis la Russie, ont fourni le régime syrien aussi bien en armes qu'en instructeurs militaires. Vladimir Poutine n'a jamais caché ni sa sympathie pour le régime de Bachar al-Assad ni les liens économiques et militaires qui unissent la Russie à la Syrie, de fait son dernier allié dans la région. Mais Washington en est convaincu : Moscou est en train d'accroître cette présence, et d'en modifier la nature. Vladimir Poutine a bien précisé que son pays n'était pas prêt à intervenir militairement contre l'Etat islamique. «Pour l'instant, ce n'est pas à l'ordre du jour», a déclaré le président russe vendredi dernier. Et c'est bien le «pour l'instant» qui fait tiquer. «Il ne s'agit encore que de mots, mais Poutine pèse bien les siens en général, remarque Alexandre Goltz, expert militaire indépendant. Je pense que le Kremlin est bel et bien en train de manigancer quelque chose en Syrie, sans quoi John Kerry n'aurait pas pris la peine de décrocher son téléphone.» En effet, le secrétaire d'État américain, disposant «d'informations évoquant une montée en puissance militaire russe imminente», a appelé samedi son homologue russe Sergueï Lavrov pour lui faire part de «l'inquiétude des Etats-Unis» quant à un éventuel engagement militaire de Moscou en Syrie.
Les soupçons américains sont-ils fondés ?
Les témoignages sur une augmentation de la présence et un regain d’activité russe en Syrie se sont multipliés depuis la fin de l’été. Et le chef de la diplomatie russe a fini par le reconnaïtre :«Nous continuons d’aider le gouvernement syrien en équipant l’armée syrienne avec tout le nécessaire pour qu’elle ne laisse pas advenir en Syrie le scénario libyen et d’autres évènements malheureux qui se sont déroulés dans la région à cause de l’obsession de certains de nos partenaires occidentaux avec l’idée de faire tomber les régimes indésirables». En s’appuyant sur des informations fournies par les services de renseignement américains, plusieurs médias affirment que la Russie a acheminé des hommes et du matériel, ainsi que des logements préfabriqués, pour construire une base militaire près de l’aéroport voisin du port de Lattaquié, le fief du président Assad, tout en demandant des autorisations de survol au-dessus de la Grèce et de la Turquie pour ses avions militaires. Des blogueurs russes ont mené l’enquête de leur côté. En passant au peigne fin les réseaux sociaux, ils ont découvert que durant l’été, deux navires de guerre auraient quitté le port de Sébastopol, en Crimée, chargés de soldats et de matériel militaire, en direction du port de Tartous. La Russie, qui y possède une base navale technique depuis 1971, avait évacué tout son personnel militaire et civil en 2013, pour mettre ses citoyens à l’abri du conflit.
Quel est donc le jeu de Poutine ?
Ce jeu reste opaque. S'agit-il de renforcer la protection d'un aéroport militaire et d'un port pour sécuriser les livraisons de matériel dans le cadre des accords existants et officiels entre Moscou et Damas ? Ou bien le Kremlin se prépare-t-il à envoyer des contingents se battre aux côtés de l'armée syrienne ? «Tout ce qui est lié à la Syrie est couvert d'une couche épaisse de spéculation et de dissimulation, explique le politologue Fedor Loukianov, rédacteur en chef de Russia in Global Affairs. Mais effectivement, l'activité accrue de cet été, quand des représentants de divers pays arabes ont défilé à Moscou, est un signe. Indéniablement, le dossier syrien est au cœur d'âpres discussions. Mais il est très difficile d'anticiper les actions du Kremlin.» Une chose est claire : Moscou soutient toujours fermement le régime de Damas, convaincue désormais que les troupes du gouvernement syrien sont la force la plus efficace pour combattre le groupe Etat islamique et les autres terroristes, et prône à cet effet une coalition élargie comprenant l'armée régulière syrienne, la Turquie, l'Irak et l'Arabie saoudite, entre autres. «Aujourd'hui, la question n'est plus tant d'appuyer Bachar al-Assad ou pas, mais de sauver le régime légitime en place, alors que la Syrie risque d'être annihilée en tant qu'Etat et qu'il faut à tout prix arrêter l'avancée de l'Etat islamique», résume Loukianov. Dans ce contexte, l'expert n'exclut pas que Moscou soit effectivement en train de renforcer son soutien militaire et logistique à Damas.
Une intervention russe en Syrie est-elle possible ?
Pour ce qui est d'une intervention directe de l'armée russe en Syrie, il s'agirait davantage d'un coup de bluff de Vladimir Poutine (pour l'instant), dans le but de faire pencher les négociations dans son sens, analyse l'expert militaire Pavel Felgenhauer. «Il est possible que la fuite d'information [sur les Russes en Syrie, ndlr] ait été provoquée à l'initiative de Moscou qui veut intégrer Assad et son armée dans une grande coalition pour lutter contre l'Etat islamique, ce qui permettrait au passage de légitimer et renforcer le régime du président syrien. Ce plan a été accueilli très froidement par les pays arabes et les Occidentaux. Moscou a décidé de faire du chantage : si vous êtes contre notre plan, nous enverrons des milliers de soldats qui combattront avec l'armée syrienne.»