Les rebelles houthis du Yémen sont sans doute des fous furieux fanatiques et leurs alliés, les hommes de la Garde républicaine du président déchu Ali Abdallah Saleh, l’autocrate girouette, ne valent pas mieux. Ce n’est pas une raison pour que l’Arabie saoudite et ses complices arabes cherchent à affamer les populations des zones rebelles en bloquant les bateaux qui les ravitaillent (le Yémen importe 90 % de sa nourriture) ni qu’ils se livrent à des bombardements indiscriminés sur ce malheureux pays, qui ne souffre pas moins que la Syrie.
Ce n’est pas seulement le présent et l’avenir de ce pays que la coalition arabe assassine, mais aussi son passé. A preuve, les lieux archéologiques sont aussi largement pris pour cibles par les F16 de l’aviation de Riyad. En juin, 31 sites avaient déjà été attaqués, sans compter ceux qui se trouvent dans les régions plus lointaines de Saada et Haja, dont on ne sait rien et qui risquent d’avoir été anéantis par les bombes.
L'une des destructions les plus accablantes est le musée de Dhamar, dont nombre de pièces remontaient à 3 500 ans avant J.-C. «Ce musée a tout simplement été anéanti depuis le ciel, écrit l'archéologue américano-libanaise Lamya Khalidi (1), chercheuse au CNRS. En quelques minutes, le travail irremplaçable d'anciens artisans et de scribes - sans parler des efforts et des chercheurs étrangers qui avaient passé des années de leurs vies à étudier et à préserver cet héritage - a été pulvérisé. Le musée et ses 12 500 pièces ont été transformés en décombres par les bombes saoudiennes.» Selon Mohannad al-Sayani, le directeur de l'Organisation yéménite pour les antiquités et les musées, ce sont 25 sites et monuments qui ont été détruits ou endommagés depuis le début du conflit, en mars 2015.
Autre désastre, la destruction du célèbre barrage de Marib, le pays mythique de la reine de Saba, construit autour du premier millénaire avant notre ère et qui fonctionna jusqu'au sixième siècle. «Le 31 mai, le barrage a été bombardé et gravement endommagé. Or, il n'y avait aucune raison d'attaquer cet antique monument, écrit encore Lamya Khalidi. Ce n'était pas une cible militaire, il était situé dans une région désertique au bord du désert Ramlat al-Sabatayn, sans aucune valeur stratégique. […] La profanation de ces sites archéologiques et monuments, comme l'architecture et la destruction des infrastructures des cités historiques yéménites, traduit une volonté de destruction ciblée et systématique de l'héritage yéménite mondial.»
Ce qui se joue avec les sites archéologiques yéménites, c'est une déclinaison de ce qui se passe à Palmyre et Ninive avec l'Etat islamique. C'est tout simplement le passé légendaire de l'ancienne Arabia felix, l'Arabie heureuse des Anciens, que l'Arabie saoudite essaye d'annihiler. Comme s'il était sacrilège d'avoir un berceau de l'humanité à ses frontières, comme s'il y avait un complexe d'infériorité culturelle à combler pour le pays de la révélation coranique qui, de longue date, a fait disparaître ses ruines, temples, églises et synagogues primitives.
Bien sûr, il n'y a guère que les Etats-Unis qui peuvent freiner un tel désastre culturel. Mais la France, grande amie des souverains saoudiens, serait bien inspirée de s'y intéresser aussi et de les inciter à la modération. Hélas, nos dirigeants, tout occupés à vendre des Rafales, ne lisent plus. Sinon, ils se souviendraient qu'une partie de notre imaginaire littéraire se trouve au Yémen. Rimbaud, décrivant Aden : «Un roc affreux, sans un seul brin d'herbe ni une goutte d'eau.» Joseph Kessel, André Malraux, Romain Gary. Michel Déon, Paul Nizan, Henry de Monfreid ont écrit aussi des pages sublimes sur ce pays et la route de l'encens.
(1) «Yemeni Heritage, Saudi Vandalism». Dans le New York Times du 26 juin. Lire aussi l’interview de Fleur Pellerin en pages 20-21