Chaque midi, on se penche sur l'épaule du «préfet» de Haute-Bavière, Christoph Hillenbrand, pour savoir par quel miracle Munich gère l'afflux des réfugiés – 63 000 depuis le 31 août, soit le double de tout 2014. Samedi, il était au bord du nervous breakdown, avec plus de 13 000 entrées au compteur : «C'est la première fois que je me demande comment on va s'en sortir.» Face à cette situation, Berlin a décidé dimanche après-midi de réintroduire provisoirement des contrôles aux frontières avec l'Autriche par où arrivent ces dizaines de milliers de réfugiés, ont rapporté dimanche les journaux nationaux Bild et Spiegel. L'Allemagne suspend ainsi les accords de Schengen sur la libre circulation en Europe.
Avant même cette annonce gouvernementale, revoilà Christoph Hillenbrand, dans son blouson en daim, ragaillardi : «Juste quelques dizaines ont dormi par terre dans la gare. L'histoire montre qu'on a pu se débrouiller depuis quatorze jours déjà. Alors…»
Alors, les Bavarois ont la culotte de peau qui craque mais ne rompt point. Ce sont des sprinters qui courent chaque jour un marathon et remettent ça le lendemain, sans même changer de chaussettes. Ils savent qu'ils ne peuvent pas y arriver, mais ils y arrivent quand même, sans fermeté, mais avec humanité : un exemple. Le maire social-démocrate de Munich, Dieter Reiter, se demandait samedi comment «éviter le chaos» et avouait : «Nous ne savons plus quoi faire des réfugiés.» Ils ont su faire, tout en prévenant que «ce n'est plus possible de recevoir chaque jour l'équivalent d'une petite ville», comme dit le rationnel Hillenbrand. Mais l'homme a aussi un cœur : alors, il continue, droit comme un i face au «fleuve». Plus possible de trouver des lits – une denrée rare : certains réfugiés dorment sur des tapis de sol et des Munichois apportent des sacs de couchage. Voilà qu'on envisage d'ouvrir les installations olympiques.
Cigarettes, sucettes et cartes SIM
Vendredi soir, le maire s'en est pris aux autres Länder : «Ils doivent faire plus. C'est inacceptable. Sinon, on ne pourra pas continuer.» Il demandait à la chancelière d'intervenir «pour les appeler à la solidarité». Mais Angela Merkel subit les critiques de son camp politique : les conservateurs bavarois de la CSU donnent du clairon depuis trois jours. «On a perdu le contrôle», peste un responsable. Le geste de bienvenue de la chancelière ? «Une erreur de jugement sans précédent», dit un autre. «Je ne vois pas comment on va pouvoir remettre le bouchon sur la bouteille», ajoute le Premier ministre de Bavière, Horst Seehofer (CSU) – et on sait qu'en matière de bouteilles, les Bavarois sont champions.
Alors que le gouvernement fédéral n'arrive pas à créer un autre point d'arrivée pour décharger Munich, il commence lui aussi à émettre quelques réserves. Le ministre de l'Intérieur, Thomas de Maizière, a dit dimanche que les réfugiés ne devraient pas pouvoir choisir leur pays d'accueil. Et selon Günter Oettinger, le commissaire européen, il faudrait baisser les allocations pour les demandeurs d'asile. Mais pour les dégoûter de venir, il y a du travail. «Ich liebe dich Germany !» lâche un Syrien à peine arrivé en gare centrale de Munich. Un autre donne quelques friandises à une gamine allemande – le monde à l'envers. Une dame est venue avec des bananes, une autre offre des cigarettes, des sucettes, des Kinder Surprise, une troisième distribue des cartes SIM.
En mouvement perpétuel
Il y a aussi des situations incongrues. L'autre soir, un jeune Munichois hélant un policier : il veut récupérer, dans la foule, celui qu'il dit être son frère. Mais comment le prouver ? Situation chaotique. L'enfant n'a pas de passeport. Or la législation sur la protection des mineurs est stricte : l'Allemagne doit s'en occuper, pas le laisser partir avec n'importe qui. Finalement, le «grand frère» aura gain de cause. Mais tout se joue sur un fil. Autre bizarrerie : certains réfugiés, une infime minorité, passent sous les barrières et filent dans la ville. Les policiers s'y opposent plus ou moins. «Le système est peut-être stupide, mais il marche, alors restez-y ! argumente Colin Turner, un bénévole. Les centres d'hébergement ne sont pas des prisons. Essayez-les.» En même temps, ajoute-t-il, «ils n'ont rien fait de mal, ils peuvent partir s'ils le veulent».
L'énorme majorité reste. Munich essaye de n'en garder que 5 % et de dispatcher les autres partout en Allemagne. Pas facile. Les autres Länder manquent de place et s'inquiètent : comme Munich ne peut plus enregistrer les nouveaux arrivants, ils entrent sans vérification d'identité. Avec tout cela, les Français de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sont postés au parc des Expos, centre d'accueil. Ce dimanche, ils avaient convaincu «pratiquement 500 personnes» de demander asile en France, selon le directeur général, Pascal Brice. La France en prendra au total 1 000, mais ce n'est pas facile : «On est face à des gens qui sont en mouvement perpétuel, explique Pascal Brice. C'est compliqué de les informer. Ils ont quitté la Syrie ou l'Irak avec l'idée de venir en Allemagne, pas en France. Ils ont la surprise de voir cette proposition. Ils doivent réfléchir rapidement alors qu'ils sont dans des parcours très chaotiques. Ensuite, nous devons les identifier. Donc ça prend du temps. Et précisons-le : nous ne sommes pas là pour "recruter", mais pour protéger des personnes.»
La mission devrait s’achever en fin de semaine. Pile poil au moment où débutera, samedi, la Fête de la bière, avec ses millions de visiteurs attendus : un souci logistique de plus à gérer.