C’est une nation sur le pied de guerre. Ce week-end, 4 300 soldats hongrois épaulés par 350 détenus en uniforme gris travaillaient d’arrache-pied pour que la clôture antimigrants soit achevée lundi matin, comme l’a ordonné le Premier ministre conservateur et nationaliste, Viktor Orbán. Une double barrière courant sur les 175 km de la frontière serbo-hongroise, faite de rouleaux de métal sertis de lames de rasoir et d’un grillage de 3, 5 mètres de haut, lui-même hérissé de barbelés.
A partir de mardi, le pays sera en «état de crise pour cause de migration de masse» (un cran en dessous de l'état d'urgence) et franchir la clôture sera considéré comme un délit passible de trois ans de prison. Et, à compter du 21 septembre, une fois le vote du Parlement entériné, l'armée hongroise devrait patrouiller à la frontière. «C'est comme si la "migration de masse" était un ennemi prêt à nous attaquer de manière organisée», observe Marta Pardavi, présidente du comité Helsinki de Hongrie (une association de défense des droits de l'homme). De plus, en vertu d'une nouvelle loi, les éventuels demandeurs d'asile risquent désormais d'être automatiquement refoulés en Serbie.
Hussard. Défendre un continent «menacé dans ses racines chrétiennes», voilà la mission dont se sent investi Viktor Orbán. Hussard juché sur les remparts de la forteresse Europe, le chef de la droite hongroise - que son entourage décrit «en grande forme, exalté et persuadé d'avoir raison», selon le journal Index - prévient que des millions de personnes risquent d'arriver aux frontières. «Si nous laissons entrer tout le monde, l'Europe va se détruire», déclarait-il récemment au journal allemand Bild. «Nous avons été occupés pendant cent cinquante ans par les Ottomans, a par ailleurs rappelé le Premier ministre. La Hongrie ne peut donc pas accepter de réfugiés musulmans.» Diviser pour régner : Viktor Orbán a, depuis des années, fait sienne cette maxime et n'a cessé de provoquer des conflits avec Bruxelles et les Etats-Unis.
«Le combat actuel n'a rien de factice, juge Akos Gergely Balogh, rédacteur en chef de Mandiner, un site d'information conservateur modéré. Le gouvernement est soutenu par une large partie de la population, et pas seulement par les électeurs de droite. Les Hongrois ont peur de cet afflux de migrants, et cette crise sans précédent inquiète tout le monde.» Selon une enquête réalisée en juillet-août par le think tank Republikon, 79 % des électeurs de droite pensent que les réfugiés sont une menace et ne devraient pas être admis en Hongrie. 71 % des sympathisants d'extrême droite sont du même avis, ainsi que 64 % des électeurs socialistes.
En moyenne, 66 % des Hongrois sont opposés aux réfugiés. Une hostilité que le chercheur Dániel Mikecz (de Republikon) explique par l'isolement de ce peuple d'Europe centrale. «Les pays d'Europe de l'Ouest ont l'expérience de migrations de ressortissants non-européens, mais pour la Hongrie, c'est un phénomène complètement nouveau. Les Hongrois ont, en outre, le sentiment d'être isolés car ils sont les seuls en Europe centrale à parler une langue particulière qui n'est pas indo-européenne, explique le chercheur. Cela les conduit à se replier sur eux-mêmes et à ignorer le monde extérieur. D'autre part, le niveau de vie des Hongrois est beaucoup plus bas qu'en Europe de l'Ouest. Les gens ont peur que la situation économique ne soit encore plus difficile si la Hongrie accueille des réfugiés.»
Propagande. De fait, Ilona Szondi, retraitée à la permanente impeccable, se dit exaspérée. «J'en ai ras-le-bol de ces migrants. Nous, après la Seconde Guerre mondiale, on a bien réussi à survivre. Ils n'ont qu'à faire pareil dans leur pays ; quand on veut, on trouve toujours un petit boulot», explique la femme. La xénophobie latente a été attisée par la communication du gouvernement qui distille la haine depuis des mois dans l'audiovisuel public et dans les médias privés fondés par le parti d'Orbán. Ecouter les petites radios commerciales indépendantes ne permet pas d'y échapper : l'audiovisuel public leur fournit des journaux radio «clé en main» - et pleins de propagande - à bas prix, ce qui leur permet de se passer d'une rédaction.
Pendant la campagne des législatives de 2014, le candidat d'opposition Gordon Bajnai avait dénoncé la «propagande à la Goebbels» du gouvernement Orbán. C'est encore plus vrai aujourd'hui. Un jour c'est un politicien local qui dit que les migrants vont agresser les enfants hongrois. Le lendemain, l'ex-Premier ministre conservateur Péter Boross affirme que «ces gens n'ont pas la même couleur de peau que nous». «Viktor Orbán ne s'arrêtera pas, il ira encore plus loin dans la haine», craint Oussama B., un médecin syrien installé en Hongrie depuis 1981 et marié à une Hongroise. Depuis que la «guerre de communication» a commencé, ses filles se font traiter de «putes afghanes» dans la rue et au café. Oussama n'est pas sûr de vouloir rester. Il soupire : «Et dire que j'ai vécu ici trente années merveilleuses. C'était mon pays.»