Après neuf jours, le blocus et le couvre-feu ont été levés samedi matin à Cizre, ville de 135 000 habitants du sud-est de la Turquie, avant, finalement, d'être réintroduits dimanche soir. Une délégation de députés du parti prokurde HDP (Parti démocratique des peuples, 13% des voix aux dernières élections) a pu entrer dans la ville samedi. Professeur de droit constitutionnel et député (HDP), Mithat Sancar témoigne pour Libération.
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Est-ce qu’il y a eu des négociations pour la levée du siège ?
Les autorités locales n’ont jamais répondu à nos requêtes et Ankara non plus, alors que nous avons fait une demande directement auprès du Premier ministre. Le peuple de Cizre, soulagé après neuf jours de couvre-feu total, est en liesse. Je n’ai même pas pu marcher quand je suis descendu du car. J’ai vu de mes propres yeux la détermination des habitants de la ville. Le pouvoir a compris qu’il ne pouvait pas insister encore plus. Les cadavres attendaient dans les réfrigérateurs des maisons dévastées. Les boulangeries étaient fermées. L’eau et l’électricité étaient coupées mais la population tenait malgré tout. Le pouvoir a finalement été obligé de se retirer mais le bilan est lourd : au moins 21 personnes, dont 4 enfants et 5 hommes de plus de 60 ans, ont trouvé la mort sous les balles.
Le ministre de l’Intérieur affirme que 20 à 25 combattants du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) ont été tués. Qu’en pensez-vous ?
Dix de nos députés étaient dans la ville depuis le début des affrontements et ils assurent que l’ensemble des morts sont des civils. Le PKK n’est pas et n’était pas dans Cizre mais dans les montagnes des alentours. Il est normal que le ministre parle du PKK, pour légitimer l’attaque contre une ville tout entière. C’est faux, c’est un mensonge… Mais, bien sûr, pour le ministre, un bébé de 6 mois, un enfant de 10 ans ou bien un vieux de 75 ans est un membre de PKK !
La situation est-elle comme dans les années 90 aux pires moments de la «sale guerre» entre les rebelles et les forces de l’ordre qui a fait, depuis 1984, quelque 40 000 morts ?
Dans ces années de plombs, il n’y a jamais eu un couvre-feu total pendant neuf jours sur une ville. Jamais une ville tout entière n’a été punie comme aujourd’hui. La seule chose qui n’a pas changé, c’est la force de la résistance, c’est la détermination des habitants.
Que propose votre parti, le HDP, pour sortir de ce cycle de violences ?
Le renforcement de l’autonomie locale en donnant beaucoup plus de droits et de responsabilités aux collectivités est la clé. L’Etat criminalise l’autogestion locale alors que nous disons que c’est la dimension la plus importante de la paix. Le HDP fera le bilan des attaques – à dessein, je ne dis pas «accrochages» comme les médias du pouvoir. Il s’agit bien, comme à Cizre, d’attaques des forces de sécurité. Nous ne voulons pas la mort d’un seul soldat, d’un seul policier, d’un seul militant du PKK ou d’un seul civil… Mais quand il s’agit d’une attaque, il faut l’appeler par son nom…
Au Parlement, nous allons continuer notre travail politique pour la paix et pour de véritables négociations pour instaurer un processus de paix entre les autorités et le PKK. Jusqu'ici, il s'est agi d'un dialogue flou, dispersé, non systématique, sans la participation du parlement et des ONG… İl faut désormais le plus vite possible, et avant même les élections anticipées du 1er novembre, retourner à la table et commencer sérieusement les discussions. C'est ainsi que les armes peuvent se taire, c'est ainsi que nous pouvons empêcher la mort des soldats, des policiers, des gens du PKK et surtout des civils.