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Réfugiés

«Aucun ne veut rester en Grèce, ils savent qu’il n’y a pas de travail ici»

Quel avenir pour la Grèce ?dossier
Dans le premier pays européen où arrivent les réfugiés, les récentes critiques sur la gestion de la crise passent parfois mal, alors que le pays est déjà en crise. Certains s’interrogent sur la passivité de la Turquie.
Des Syriens arrivant sur l'île grecque de Lesbos, le 11 septembre. (Photo Angelos Tzortzinis. AFP)
publié le 14 septembre 2015 à 9h34
(mis à jour le 14 septembre 2015 à 13h26)

Un gilet de sauvetage orange : c’est cet objet, devenu le symbole du drame des réfugiés qui traversent la Méditerranée, que l’ONG Médecins sans frontières (MSF) compte offrir ce lundi à tous les chefs de gouvernements européens, alors qu’un nouveau sommet d’urgence se réunit à Bruxelles le même jour.

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Des gilets de sauvetage qui semblent bien inutiles vu de Grèce, alors que 38 réfugiés ont péri dimanche devant l’îlot de Farmakonissi à une quinzaine de kilomètres des côtes turques, lorsque l’embarcation en bois sur laquelle ils se trouvaient, s’est retournée piégeant la plupart des victimes qui étaient enfermées à l’intérieur.

La télé grecque a montré des images saisissantes de femmes hurlant de désespoir en découvrant que leurs enfants n'ont pu être sauvés par les gardes-côtes grecs. «C'est la plus grande tragédie qu'a connue la mer Égée depuis le début de la crise», a rappelé Maria Kaksiveli, responsable d'un mouvement de solidarité créé spécifiquement pour venir en aide aux réfugiés sur l'île de Leros, voisine de Farmakonissi, où ont été conduits les survivants du naufrage.

Plus de 200 000 réfugiés, en majorité syriens, mais aussi afghans ou irakiens, sont arrivés sur les îles grecques en provenance de la Turquie depuis le début de l’année. Provoquant parfois des situations chaotiques comme sur l’île de Kos ou celle de Lesbos qui a accueilli au pic de l’été plus de 15 000 réfugiés.

Ces derniers jours pourtant, la Grèce a souvent été critiquée. C'est d'abord le Premier ministre hongrois, Victor Orban qui à la veille du week-end, dénonçait «l'incapacité de la Grèce à contrôler ses frontières». Puis Angela Merkel a enfoncé le clou appelant samedi la Grèce «à faire plus d'efforts».

«La Grèce applique strictement les traités européens et internationaux sans ignorer l'humanisme et la solidarité» a répliqué depuis Lesbos où elle se trouvait en déplacement, Vassiliki Thanou, Premier ministre grecque par intérim, dans l'attente des élections de dimanche.

Restrictions budgétaires

La Grèce peut-elle en faire davantage ? Certes, mais le pays a lui aussi peut-être besoin d’un gilet de sauvetage : le gouvernement d’Alexis Tsipras aux commandes de janvier à fin août a été trop longtemps entièrement mobilisé par les difficiles négociations avec ses créanciers pour prendre la mesure des réponses à apporter au drame qui se jouait à ses frontières.

Les restrictions budgétaires déjà imposées depuis cinq ans par les créanciers ont asséché la fonction publique et les nouvelles exigences sur la diminution du budget militaire ne facilitent pas la gestion de ce véritable tsunami humain.

Après l’annonces des élections anticipées du 20 septembre, le nouveau gouvernement dirigé par Vassiliki Thanou (jusqu’alors présidente de la Cour Suprême) a pourtant réussi à accélérer les procédures d’enregistrement et d’évacuation des réfugiés coincés sur les îles grecques : 29 000 d’entre eux ont ainsi pu quitter les îles frontalières ces derniers jours.

Le plus souvent pour arriver à Athènes, où ils occupent depuis début septembre la place Victoria, au cœur de la capitale grecque. Assis par grappes sur des nattes ou installés à l'ombre de tentes Quechua, ils traînent sous un soleil de plomb, avant de repartir plus au nord, vers la Macédoine, la Serbie puis l'Allemagne, «où j'aurais enfin une nouvelle vie», croit savoir Ali, un jeune Iranien venu lui aussi de Turquie avec treize membres de sa famille.

«Aucun d'eux ne veut rester en Grèce. Ils savent tous qu'il n'y a pas de travail ici, aucune perspective pour eux» confirme la responsable du centre pour réfugiés ouverts fin août à Elaionas, une banlieue d'Athènes, célèbre pour avoir accueilli dans l'Antiquité l'Académie de Platon. Mais aujourd'hui Elaionasa des allures de no man's land hostile, avec ses entrepôts et ses usines abandonnées. A peine 700 réfugiés ont accepté de s'y rendre pour être logés dans des containers reconvertis en logements au milieu d'un paysage désolé et poussiéreux.

A Athènes, les réfugiés en transit sont, pour l'instant, bien tolérés. Et même si des associations d'habitants du quartier de la Place Victoria ont émis quelques plaintes, on est loin de la tension palpable sur les îles submergées. «Ce sont des Syriens, des gens qui fuient la guerre. Que peuvent-ils faire ? De toute façon, ils vont repartir» se rassure un vieux monsieur flegmatique installé à la terrasse du Café des Poètes sur la Place Victoria, alors qu'une dizaine d'employés municipaux tentent de nettoyer les déchets accumulés par les nouveaux occupants pendant la nuit.

«Qui vend les gilets de sauvetage?»

Mais en Grèce certains se posent des questions. Et notamment sur ce fameux gilet de sauvetage que la section locale de MSF offre également ce lundi au chef du gouvernement grec à Athènes.

«C'est bien de jouer sur les symboles et l'émotion. Mais d'où viennent-ils en réalité tous ces gilets de sauvetage, qui les vend ?» s'interroge une photographe grecque, contactée sur l'île de Lesbos, qui poursuit : «Quand on en retrouve non pas deux ou trois, mais des centaines ou des milliers de gilets de sauvetage échoués sur les plages grecques, c'est forcément un véritable business, de l'autre côté, en Turquie. Comment peut-on croire que ce trafic n'est pas connu des autorités turques ?» insiste-t-elle.

«En Turquie tout le monde te facilite le passage ; dès que tu arrives à Smyrne ou Bodrum, tu sais tout de suite où trouver le passeur et avec qui négocier» confirme Ali, le jeune Iranien sur la Place Victoria à Athènes qui a eu lui aussi «très peur» pendant la traversée sur une barque surchargée qui prenait l'eau.

Onze enfants ont péri dimanche lors du naufrage au large de l'îlot de Farmakossi, un caillou de 4 kilomètres de longueur où s'échouent fréquemment les bateaux venus de Turquie. «Les passeurs turcs nous ont accompagnés puis ont quitté la barque en jet-ski dès qu'on est arrivé dans les eaux territoriales grecques. Sans se soucier de savoir si on risquait de se noyer», explique Ali.