C'est un coup de semonce, mais pas seulement. Annoncée à la veille de la réunion des ministres de l'Intérieur des Vingt-Huit qui doit discuter de mesures pour faire face à l'afflux de réfugiés, la décision de Berlin de rétablir ses contrôles à la frontière avec l'Autriche, suspendant ainsi provisoirement les accords de Schengen, a été imitée lundi par la Slovaquie, la République tchèque et l'Autriche. La Hongrie a déployé des militaires à sa frontière. Si cette apparente volte-face de Berlin s'explique par une situation en passe de devenir incontrôlable et par les critiques croissantes d'une partie du camp conservateur, il s'agit aussi clairement d'exercer une pression sur les pays qui se refusent à l'instauration de quotas d'accueil obligatoires voulus par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avec le soutien de Paris et Berlin. «Aucun pays ne peut réussir seul la prise en charge et l'hébergement des réfugiés. Il est nécessaire que nous le signifions clairement à nos voisins», a ainsi précisé Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand et président du SPD, dans une interview au Tagesspiegel, dénonçant «l'inaction de l'Europe» qui a conduit son pays «aux limites de sa capacité d'accueil».
La suspension des accords de Schengen, le rétablissement par Berlin des accords de Dublin, stipulant que les réfugiés doivent faire leur demande d'asile dans le premier Etat de l'UE où ils ont débarqué, mettent en effet les récalcitrants et, en particulier la Hongrie, un pays en première ligne, face à leurs responsabilités. Il s'agit aussi d'obtenir l'instauration de centres de contrôle aux frontières de l'Union - en Italie, en Grèce, en Hongrie - par où arrivent les réfugiés, des «hot spots» destinés à faire un premier tri entre les Syriens, les Irakiens et autres - fuyant la guerre et donc éligibles au droit d'asile - et les migrants économiques. Berlin est sur la même ligne que Paris. «L'Allemagne, comme la France, demande que l'Europe puisse avoir sur ses frontières un contrôle. C'est la condition pour que les réfugiés puissent être accueillis dignement et de manière maîtrisée», a déclaré François Hollande, lundi, en affirmant que les deux pays sont «extrêmement pressants» vis-à-vis de leurs partenaires.
Les critiques montent outre-Rhin au sein même du camp politique d'Angela Merkel. Ce week-end, le ministre des Transports, Alexander Dobrindt, membre de la très conservatrice CSU bavaroise, est monté au créneau, dénonçant «l'échec complet de l'UE» à contrôler ses frontières extérieures. Déjà les jours précédents, le ministre-président de Bavière, Horst Seehofer, affirmait que la décision d'ouvrir la porte aux réfugiés syriens «avait été une erreur et que l'on ne voit pas comment maintenant remettre le bouchon sur la bouteille». Mais la grogne monte au sein même de la CDU, où certains cadres soulignent que cette politique d'ouverture «encourage les réfugiés à prendre la route de l'Allemagne».
L'opinion publique allemande n'en reste pas moins largement favorable à cet accueil généreux, comme en témoigne un sondage de la chaîne de télévision publique ZDF, publié en fin de semaine dernière, affirmant que 66 % des personnes interrogées le soutiennent. Les autorités allemandes tiennent donc aussi à rappeler que leur politique ne change pas sur le fond. «Les contrôles provisoires aux frontières ne sont pas la même chose qu'une fermeture des frontières, c'est complètement différent. Des réfugiés vont continuer à venir en Allemagne, nous espérons que cela se déroule dans le cadre d'un processus mieux ordonné», a précisé lundi Steffen Seibert, le porte-parole de la chancellerie. Berlin corrige un peu la route, mais garde le cap.