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Libération
Éditorial

Le général Toufik ou le mystère du corbeau algérien

publié le 14 septembre 2015 à 19h46

Il était depuis vingt-cinq ans, et pour beaucoup d’Algériens, le cerveau de la création du système. Le général Mohamed Lamine Mediène, 76 ans, formé à Moscou, patron redouté du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), guidait. Et ainsi, la main des présidents écrivait. Le grand talent de Mediène, surnommé «Toufik», fut d’être invisible. Cet homme, posé sur l’épaule du pouvoir depuis 1990 comme le corbeau sur le mur du cimetière, aurait été jusqu’à scénariser sa disgrâce, pour mieux transmettre le Léviathan sécuritaire qu’il a lui-même nourri en affaires, en scandales, en manipulations, comme on nourrit les pigeons sur un banc public derrière d’épaisses lunettes fumées. C’est une hypothèse, comme souvent en Algérie. Mais au fond, nul ne saura quelles furent, ces dernières années, les relations entre Bouteflika et Mediène. Les deux hommes ont le même âge et ont partagé des combats lors de la guerre d’Indépendance. Une écriture scénarisée avancerait, elle, l’histoire d’un homme qui aurait transmis volontairement son legs au pouvoir civil, incarné par le président Bouteflika. Ou du moins à celui qui, physiquement, l’exercerait à sa place - le président, élu pour un quatrième mandat l’an dernier, étant ralenti par un AVC depuis 2013. La «transmission» au «civil» est un abus de langage, le président étant également ministre des Armées. Cette mise «à la retraite» doit être interprétée comme l’enchâssement du renseignement, dans l’optique de l’après-Bouteflika, au sein même de la présidence. Comme sous Boumédiène.

Si ce qui se dessine aujourd’hui s’apparente à la reconstruction d’une nouvelle mécanique sécuritaire, c’est surtout pour faire face à trois défis majeurs : menaces aux frontières et jihadisme international, boom démographique, et fin programmée d’un modèle économique basé sur la rente qui dégringole, au point de fracturer le socle social du pays, fondé sur les transferts sociaux. Si Mediène est parti, le DRS, lui, est toujours cousu dans le veston du pouvoir.