«Soyons adultes.» Lunettes sur le bout du nez, Jeremy Corbyn, 66 ans, a endossé le costume du professeur, sévère mais bienveillant qui, d'une voix douce, réprimande un élève un peu insolent. Initialement interloqué, David Cameron, 48 ans, a joué le jeu. L'élève a été maté. Pour le moment.
La première séance hebdomadaire des questions au Premier ministre du nouveau dirigeant travailliste, mercredi, à la Chambre des communes, s'est déroulée dans un calme olympien - une première. Elle a marqué la fin de quelques jours de tangage violent pour Corbyn : élu triomphalement samedi, le très à gauche et très pacifiste républicain a depuis accumulé les maladresses. Après avoir promis une parité hommes-femmes absolue dans son cabinet fantôme, il n'a offert les postes clés qu'à des hommes. Il a affolé la frange centriste du Labour en nommant chancelier de l'Echiquier le très abrasif John McDonnell qui, en 2010, rêvait de revenir aux années 80 pour assassiner Thatcher. Avant d'affirmer qu'il s'agissait d'une boutade. Corbyn a également choqué l'opinion, y compris ses partisans, en refusant de chanter le God Save the Queen lors du 75e anniversaire de la bataille d'Angleterre. C'est une chose d'afficher ses convictions lorsqu'on est un député obscur. Mais la donne change pour un chef de l'opposition, susceptible de devenir Premier ministre.
Mercredi, deux mondes se faisaient face. D’un côté, Cameron, sorti des meilleures écoles privées (Eton), diplômé d’Oxford, homme de réseaux. De l’autre, Corbyn, qui n’a jamais fait d’études, ancien syndicaliste, militant, engagé. En utilisant, pour poser ses questions, la voix de membres du public sollicités par mail, Corbyn a rappelé aux députés une notion fondamentale : ils sont les porte-voix de leurs électeurs. Mais les limites de l’exercice sont vite apparues. En ne posant pas ses questions, Corbyn a laissé à Cameron la possibilité d’exposer rationnellement sa politique. Or, cette demi-heure dans la semaine est la seule occasion où le leader de l’opposition peut demander des comptes au Premier ministre.
Corbyn est sorti la tête haute de l’exercice. Cameron aussi. S’il veut convaincre ses députés - dont seule une minorité a voté pour lui - qu’ils peuvent, sous sa direction, gouverner à nouveau un jour, Corbyn doit rapidement trouver le moyen de contrer la machine bien huilée de Cameron.