Le silence était total. Serrés comme des sardines sur les étroits bancs de la Chambre des communes, les députés britanniques, tous partis convaincus, semblaient comme stupéfaits. Pas de cris, pas d’insultes, pas de blagues cruelles et sarcastiques : quelque chose de bizarre et d’inédit s’est produit mercredi dans les murs du Parlement de Westminster.
Pour sa première séance hebdomadaire des questions au Premier ministre, le nouveau dirigeant du Labour, Jeremy Corbyn, a tenu parole : il a radicalement changé le format de cet exercice habituellement plus proche d’une foire d’empoigne bourrée de testostérone que de l’échange intellectuel civilisé.
Pas de femmes à des postes d’importance
Eviscéré par une majorité de la presse depuis son élection triomphale samedi dernier, Jeremy Corbyn, 66 ans, était attendu au virage.
Il a d’abord été tourné en dérision pour avoir nommé dans son cabinet fantôme plus de femmes que d’hommes – une promesse qu’il avait faite – mais aucune à un poste d’importance.
Ces derniers ont été réservés à des hommes blancs et plutôt âgés. A l’exception peut-être d’Andy Burnham, 45 ans, son rival malheureux à la course au leadership, ministre de l’Intérieur dans le «shadow cabinet». Ancien ministre de Gordon Brown, il est aussi le seul de toute la frange des jeunes modernistes et centristes du Labour à avoir accepté de servir sous Corbyn.
Le nouveau leader a également voulu prouver sa capacité à unifier en ressuscitant, au poste de ministre de la Justice, Lord Falconer, ancien ministre de Tony Blair, dont il est un ami proche.
Mais il a aussi nommé au poste clé de chancelier de l’Echiquier (ministre des Finances) son directeur de campagne, John McDonnell, 64 ans, aux positions encore plus à gauche que les siennes. Or, si Jeremy Corbyn a la réputation d’avoir des convictions affirmées, il est aussi un homme au langage policé et calme. Ce qui n’est pas du tout le cas de John McDonnell.
Col ouvert, cravate mal nouée
Pour la séance des PMQ (Prime Minister Questions), Jeremy Corbyn n’a cédé que sur un point : il portait un costume et une cravate. Mais il a gardé un style très personnel, costume beige, sur chemise rayée beige et cravate mordorée. Loin, très loin, de l’élégant costume bleu nuit, parfaitement taillé, porté par son opposant, le Premier ministre conservateur, David Cameron.
Le détail a son importance. Jeremy Corbyn n'accorde à son apparence qu'une importance extrêmement modérée. Or, dans un pays où la notion du «dress code», le code vestimentaire, tient une place importante, le nouveau chef de l'opposition avait été vilipendé mardi pour avoir assisté au 75e anniversaire de la Battle of Britain, un hommage aux pilotes de la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale, habillé d'une veste et d'un pantalon non assortis. Et surtout, le col ouvert sur une cravate mal nouée.
Pas de God Save the Queen
Pire, le pacifiste et républicain convaincu était resté les lèvres fermement serrées lors du traditionnel hymne, God Save the Queen, que tout Britannique entonne régulièrement et volontiers. Posture perçue comme un crime de lèse-majesté. Depuis, le débat fait rage. Au point que des proches du Labour ont assuré que Jeremy Corbyn chantera désormais l'hymne au cours des cérémonies officielles.
Aux Communes, même les députés travaillistes, dont une minorité seulement a voté pour Corbyn, faisaient grise mine, clairement pétrifiés à l’idée de la performance qu’allait livrer leur nouveau leader, député depuis trente-deux ans, mais qui n’a jamais occupé de poste d’importance.
Les questions de citoyens
Jeremy Corbyn a pris son monde de court. Très courtoisement, il a expliqué à David Cameron avoir l’intention de changer le ton de cette séance hebdomadaire et a brandi six questions d’électeurs, sur 40 000 reçues pour l’occasion. Marie, Steven, Paul, Claire, Gail et Angela se sont ainsi succédé pour poser des questions au Premier ministre, dans la voix de Jeremy Corbyn. Sur la santé, le logement, les crédits d’impôts.
Tout aussi courtoisement, David Cameron, qui, dimanche, brandissait sur Twitter le risque pour «la sécurité nationale, celle de l'économie et de votre famille» que représentait Jeremy Corbyn, a répondu.
Le changement a été salué par tous, y compris par le Premier ministre. Jeremy Corbyn est sorti la tête haute de son premier obstacle depuis son élection. Le prochain sera la cérémonie d’intronisation au «Privy Council», un groupe étroit de conseillers de la reine, qui reçoivent des informations confidentielles sur la sécurité du pays. Il est d’usage que le leader de l’opposition y soit convié. Mais il doit pour cela prêter serment sur une Bible, avant de s’agenouiller devant la reine. La volonté d’apaisement et de compromis affichée par Jeremy Corbyn ira-t-elle jusque-là ?