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Libération
Éditorial

Réfugiés : non, Merkel ne s’est pas reniée

publié le 16 septembre 2015 à 20h06

En rétablissant provisoirement les contrôles à ses frontières, la chancelière allemande ne s’est pas alignée sur les positions de la droite française, comme le claironne un très respectable fils d’immigré hongrois qui brigue l’Elysée. Pourquoi ? Primo, parce que cette possibilité est offerte à titre exceptionnel par l’accord de Schengen, et Angela Merkel n’entend pas le remettre en question comme le prône Nicolas Sarkozy, ce qui ne changerait d’ailleurs rien aux flux actuellement constatés. Secundo, parce que la politique bienveillante de Berlin n’a pas changé. Pendant les contrôles aux frontières autrichiennes, les arrivées de réfugiés se poursuivent : on en a compté 3 800 lundi. Fin 2015, l’Allemagne aura ainsi accueilli 800 000 à 1 million de demandeurs d’asile, douze fois plus que la France. Merkel ne fait preuve en la matière d’aucune fantaisie : elle applique simplement, comme la loi le prévoit, le droit d’asile, pour lequel il ne peut y avoir de limitation quantitative. La chancelière se retrouve ainsi bien loin des attitudes restrictives en vogue dans notre pays, où l’on saluera néanmoins un changement de ton.

Jusqu'ici plus adepte de fermeté que d'humanité, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a ainsi fustigé lundi l'incapacité de ses homologues européens à se mettre d'accord sur une répartition contraignante des réfugiés : «Pendant que nous tergiversons, les opinions publiques nous jugent, et les migrants meurent», a-t-il indiqué. Réjouissons-nous : le gouvernement n'a pas toujours eu cette pensée pour les 2 800 personnes noyées en Méditerranée depuis janvier, alors que ce cimeterium nostrum aurait dû depuis longtemps scandaliser nos leaders. Il leur a fallu la photo du petit Aylan pour se réveiller : on s'en félicitera, tout en restant perplexe devant un tel retard à l'allumage. Depuis, les petits Aylan se multiplient, hélas sans photo : 38 noyés dimanche en mer d'Egée, entre Turquie et Grèce, 22 victimes mardi dans une barque tentant de rejoindre Kos. Ces morts ne font pas les gros titres : on n'a pas d'image… Mais il faut rappeler ceci : la responsabilité en incombe en partie à la politique des pays européens. Comme le remarquait Médecins sans frontières, dimanche, dans une lettre ouverte au président de la République, certaines mesures «ont même aggravé» la situation, comme ces «barrières et empreintes digitales obligatoires [qui] ne font qu'inciter les gens à opter pour des itinéraires clandestins toujours plus dangereux». «Peu importe les obstacles, ces personnes continueront de venir», souligne l'ONG. Qui dégaine une proposition déjà évoquée, mais en vain jusqu'ici : l'Europe doit instaurer des voies légales d'entrée pour les demandeurs d'asile. C'est effectivement la seule solution possible si l'on veut que le compteur des morts - dix par jour environ en 2015 - freine sa course folle.