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La France, mauvais élève de la lutte contre la corruption transnationale

Constatant l'échec de la lutte contre la corruption des entreprises françaises à l'étranger, l'ONG Transparency international conseille à Paris de privilégier une justice transactionnelle.
Un wagon TGV d'Alstom est embarqué le 26 juin 2015 au port de La Rochelle à destination de Tanger, au Maroc. Après avoir signé un accord avec la justice transactionnelle américaine, Alstom devra verser 772 millions de dollars pour ses pratiques de corruption internationale. (Photo XAVIER LEOTY. AFP)
publié le 17 septembre 2015 à 18h56

Le temps ne change rien à l'affaire : passent les années et la France reste l'un des plus mauvais élèves de la lutte contre la corruption commise par ses entreprises à l'étranger, selon l'ONG Transparency International.

C'était il y a un peu moins d'un an. Vraisemblablement encouragé par des réquisitions clémentes prises par le parquet général de Paris dans le cadre du jugement en appel de l'affaire Safran/Sagem, le groupe de travail de l'OCDE renouvelait ses préoccupations quant à la faiblesse des condamnations prononcées en France pour des faits de corruption d'agents.

A l'époque, le groupe venait d'être relaxé pour corruption présumée d'agents publics étrangers au Nigeria en marge de l'obtention d'un marché d'environ 70 millions de cartes d'identité. Les experts du château de la Muette appelaient donc la France à intensifier ses efforts. Mais dans son dernier rapport sur la «corruption dans les transactions commerciales internationales» publié jeudi, l'ONG Transparency International évoque «l'échec de la France».

De maigres condamnations

Constat de l'ONG : «A ce jour, soit quinze ans après la ratification par la France de la Convention OCDE et l'introduction consécutive de l'infraction de corruption d'agents publics étrangers à l'article 453-3 du code pénal, seules sept personnes physiques ont été condamnées à ce titre de manière définitive. Les condamnations en question n'ont d'ailleurs donné lieu qu'à des sanctions minimes.»

Une pêche bien maigrelette compte tenu du poids économique de la France à l'étranger. Or, l'ONG constate que cette clémence des autorités françaises n'a pas permis à ses entreprises d'échapper à des procédures judiciaires à l'étranger. Et plus particulièrement à la justice américaine, qui veille scrupuleusement à l'application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA, la loi américaine anticorruption).

772 millions de dollars d'amende pour Alstom

En l'espace de quatre années, quatre entreprises transnationales hexagonales ont ainsi été sanctionnées par les autorités américaines. Avec en prime le paiement d'amendes lourdes. Technip, Alcatel-Lucent, Total et dernièrement Alstom ont dû débourser près de 1,3 milliard de dollars (1,15 milliard d'euros) d'amende aux Etats-Unis.

Accusé de corruption dans plusieurs pays par le département de la justice américain, Alstom avait plaidé coupable et passé un accord en décembre 2014 pour clore l’enquête. Le groupe français devra payer 772,29 millions de dollars (683 millions d’euros) aux Etats-Unis. Un gros pactole qui donne à Alstom le privilège de figurer dans le Top 10 des entreprises les plus lourdement sanctionnées par les autorités américaines pour violation du FCPA.

Introduire le «plaider coupable»

Or, souligne l'ONG, aucune de ces sociétés n'a été «reconnue coupable par un tribunal américain». Ces quatre affaires ont été résolues par un mécanisme de règlement hors tribunal, un «plaider coupable », mécanisme de «justice transactionnelle». Transparency International conseille de ce fait à la France de ne pas engager de procédures «longues, coûteuses et à l'issue incertaine», mais de créer une justice transactionnelle spécialement dédiée à la corruption internationale. Cela obligerait les entreprises concernées à s'acquitter d'une amende, à indemniser d'éventuelles victimes et à restituer les profits «illicites» à l'Etat, en échange de l'abandon des poursuites.

Certes, la France pourrait opter pour une forme de statu quo juridique qui revient, de fait, à fermer les yeux sur les pratiques de corruption d'agents publics à l'étranger en échange de l'obtention de juteux marchés. Une telle apathie n'est pourtant pas sans risque pour les multinationales françaises. L'ONG souligne : «Si l'on peut évidemment se réjouir que les autorités, fussent-elles étrangères, sanctionnent avec toute la sévérité requise les faits de corruption transnationale, la multiplication à l'étranger de procédures contre des entreprises françaises n'en demeure pas moins problématique en raison notamment du transfert massif de données sensibles qui peut les accompagner.»

L'ONG rappelle que, faute d'un mécanisme de justice transactionnelle, les entreprises françaises peuvent se voir contraindre de communiquer aux autorités de poursuites étrangères (américaines ou autres) des informations stratégiques. Quitte à violer la loi de blocage datant de 1968 qui interdit la communication aux autorités publiques étrangères de documents de nature à porter atteinte aux intérêts économiques hexagonaux.