Avant de franchir le cap et de réaliser la traversée vers l’Europe, certains futurs réfugiés tentent de planifier leur voyage à distance. Sur Facebook, ils trouvent largement de quoi s’organiser : des dizaines de pages mettent en relation les futurs migrants et leurs passeurs. Elles sont en arabe souvent, et ont des titres évocateurs comme «Migrer vers l’Europe» ou «Faire le voyage jusqu’en Europe et trouver un visa».
Pour ceux qui les tiennent – des passeurs le plus souvent –, la traversée vers l’Europe est un service commercial comme les autres, qui nécessite que l’on attise tous les clichés d’une Europe belle, dynamique et accueillante. La même que celle que l’on vend aux touristes sur les plaquettes de pub en papier glacé. Sur la page publique «Immigration et asile partout en Europe», répertoriée dans la catégorie «services d’affaires», une photo de la Tour Eiffel illuminée trône par exemple ostensiblement en couverture, au-dessus des différents services proposés par les passeurs.
Sur une autre page de promotion des trajets vers l’Europe intitulée «Ceux qui souhaitent migrer vers l’Europe par la Libye», tout est fait aussi pour rassurer les futurs migrants égarés. En dessous d’une publication pour la promotion d’un voyage vers l’Italie par la Libye, des photos d’un ferry du type Queen Mary II, qui laissent croire aux plus naïfs que la traversée se fera sur ce type d’embarcation. Plus bas, une photo d’un bateau rempli de migrants avec des gilets de sauvetage est légendée «
notre objectif est votre sécurité»
, comme le serait un vieux tract d’une compagnie aérienne. Des propositions qui paraissent grotesques et peu crédibles, mais des utilisateurs mordent bien à l’hameçon et laissent un numéro de téléphone ou une adresse mail :
«Je suis prêt à voyager en Europe»
,
«Je veux immigrer»
.
Pour la plupart d'entre ceux qui sollicitent ces services sur de telles pages, le trajet se fera bel et bien. Mashable avait interviewé en avril 2015 plusieurs migrants qui avaient pu faire la traversée jusqu'en Europe grâce à Facebook, et Slate était entré en contact avec certains des passeurs qui proposent ces services. Les prix varient généralement entre 2 000 et 3 000 dollars.
Obtenir un visa et un job sur Facebook
Mais d’autres, désireux de profiter au maximum de la situation désespérée des futurs migrants, utilisent Facebook comme un appât lucratif en faisant miroiter une immigration facile. Ainsi, plusieurs pages promettent un visa pour l’Europe ou le Canada, ainsi qu’un emploi garanti. L’assurance de ne pas avoir à faire le voyage en bateau, et d’arriver en règle dans le pays donc.
Sur l'une d'elles, un certain David Allen, présumé responsable du service de l'agence de régularisation, explique dans un anglais approximatif : «Nous ne sommes pas des ambassades officielles. Nous travaillons avec des ambassades partout dans le monde. Nous allons vous préparer des documents réels que vous pourrez vérifier. Avec ces vrais documents, toutes vos informations seront enregistrées dans la base de données du pays que vous souhaitez et les documents seront légaux. Vous pourrez les utiliser pour voyager, créer des comptes bancaires, acheter des médicaments, aller en boîte de nuit, régler des factures… dedans et hors du pays sans aucun problème. Nous avons plus de 3 millions de documents qui circulent dans le monde entier. Nous préparons toutes sortes de documents pour tous les pays dans le monde.»
Régulièrement, sur cette page, des annonces pour un emploi qualifié au Danemark ou en Allemagne circulent, accompagnées d’une adresse mail – toujours la même. L’administrateur de la page répond aux commentaires intéressés et promet même de pouvoir leur fournir un permis de travail en règle. Il suffit de les contacter par mail.
Ce que nous avons fait, prétendant voulant migrer vers l'Europe. En quelques heures la prétendue agence répond : «Merci pour votre intérêt, et de prendre en considération nos deux années de travail pour obtenir des visas. Nous avons trois pays en ce moment, le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Autriche. Nous avons des agents spéciaux qui travaillent avec ces pays pour un contrat de travail de deux ans.»
Notre interlocuteur précise que tout ce que nous devons faire est de lui envoyer par mail une copie de notre passeport, une photographie en règle, un CV, le livret de santé et de lui régler 1 000 dollars pour les frais d’inscription. Il se charge de tout, nos nouveaux visas et passeports seront expédiés par courrier DHL. Un de leurs agents viendra même nous chercher à l’aéroport. Il nous invite à choisir parmi une liste d’employeurs potentiels tels que Arp-Hansen Hotel Group ou ECCO Shoes et indique que celui-ci nous fournira un contrat de travail et une lettre de régularisation pour l’immigration.
Sur d’autres pages, des offres similaires sont plus explicites : pour l’obtention d’un visa et d’un emploi en Grande-Bretagne prêt en quatre semaines, il faut débourser 9 000 dollars, pour les Etats-Unis 8 414,59 et pour l’Italie 5 500.
Pas de censure, peu de modération
Plusieurs utilisateurs se montrent régulièrement intéressés, et commentent «J'ai besoin d'aide de Syrie» ou «Je veux postuler à un job». Contactés par Libération, aucun d'entre eux n'a répondu, mais il paraît assez peu vraisemblable que leurs demandes aient réellement abouti quand on connaît les démarches et le temps nécessaires pour obtenir un visa.
Le plus étonnant, c’est que ces pages continuent encore d’exister sur le réseau social. Si certaines sont supprimées au fur et à mesure par les modérateurs de Facebook, la plupart existent depuis plus d’un an et sont actives fréquemment, accueillant de temps à autres les futurs migrants aveuglés par l’espoir de l’immigration facile.