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Libération
Elections en Grèce

Le nouveau coup de poker de Tsípras

Quel avenir pour la Grèce ?dossier
Bruxelles, les créanciers de la Grèce et la fronde de son propre camp hypothèqueront-ils les chances de l’ex-champion de l’anti-austérité de briguer un second mandat dimanche ?
Alexis Tsipras en meeting à Athènes le 18 septembre. (Photo Aris Messinis. AFP)
publié le 18 septembre 2015 à 19h46

Que se passe-t-il dans la tête d'Aléxis Tsípras, alors qu'il joue ce dimanche son avenir politique ? Devenu une star planétaire depuis son élection en janvier, puis surtout en raison de son interminable bras de fer avec les créanciers du pays, le seul Premier ministre d'un gouvernement anti-austérité en Europe a fini par démissionner le 20 août, provoquant ces élections où l'ex-Premier ministre se représente en quête d'une nouvelle légitimité. Dans une ambiance morose. Car quelle que soit l'issue du scrutin, l'accord imposé par Bruxelles à la suite de sa capitulation devra être appliqué. «Le résultat des élections n'a aucune importance, car 80 % des députés du Parlement sortant ont approuvé l'accord conclu à Bruxelles le 13 août», a déclaré à la mi-septembre Klaus Regling, le patron du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui détient 45 % de la dette grecque.

«Sans importance» donc et enfin débarrassées des interventions venues de l'Union européenne et du FMI. Libres, les Grecs ? Pas vraiment. Car c'est bien contraints et forcés que les députés ont voté un accord qu'ils n'ont même pas eu le temps de lire. Et si ces élections ne se déroulent plus dans un climat de peur, comme auparavant, «elles sont aussi sans espoir», souligne le politologue Georges Sefertzis. Cet espoir qu'avait incarné Aléxis Tsípras lors de sa victoire en janvier avec 36,6 % des voix. Depuis, Tsípras a perdu la bataille face à Bruxelles. Et aussi quelques amis. Comme son ex-ministre des Finances, l'impétueux Yannis Varoufakis, qui s'est éloigné de Syriza, le parti de Tsípras, et multiplie les interviews à l'étranger, comparant son «cher Aléxis» à un « Sysiphe condamné à porter sans fin la roche de l'austérité». Des déclarations qui font grincer des dents dans l'entourage de Tsípras, où l'on regrette que le héros déchu se «montre si poli» avec d'anciens amis peu charitables.

«Alternatives». «Je ne reconnais plus monsieur Tsípras. C'est un autre homme !» ironise, goguenard, son principal opposant, le conservateur Evángelos Meïmarákis. Car bien malgré lui, Tsípras, «qui a passé tant d'années à combattre l'austérité, pourrait se retrouver dans la position du cinquième Premier ministre grec à devoir imposer des mesures de rigueur», renchérit Sefertzis.

Tsípras souhaite-t-il seulement être élu ? «Si nous sommes à nouveau aux commandes, nous pourrons limiter les dégâts de cet accord et faire des propositions alternatives sur un certain nombre de points. C'est même prévu dans les textes», veut croire Geórgios Katroúgalos, ministre du Travail dans le dernier gouvernement. Celui remanié après la capitulation de Tsípras et l'éclatement de Syriza, délesté de sa frange la plus à gauche qui a rompu pour créer Unité populaire (lire page 6).

«Aléxis n'a pas changé, même s'il a grossi, s'amuse un de ses amis de lycée. Mais lui qui avait fait jusqu'à présent une carrière politique sans faute, a sous-estimé le jusqu'au-boutisme de ses interlocuteurs qui ne voulaient pas entendre parler d'un gouvernement de gauche en Europe. Même Hollande, qui applique une politique libérale, n'avait aucune envie qu'il réussisse», ajoute-t-il.

Le référendum du 5 juillet avait pourtant achevé de hisser Tsípras au rang d'icône de la résistance démocratique incarnée par le succès du hashtag «ThisIsaCoup» («Ceci est un coup d'Etat»). Mais le story-telling des négociations à Bruxelles tout autant que celui de la capitulation surprise après sa victoire au référendum restent à écrire.

«Les dés étaient pipés. Et Tsípras, qui pensait donner des gages de confiance en remboursant chaque mois les échéances de la dette, a fini par comprendre fin juin que les créanciers voulaient avant tout sa tête», confie un ancien ministre. «Acculé au suicide politique, Tsípras espérait en vérité perdre le référendum et quitter la scène par le haut. L'ambiance au sein de son entourage était glaciale à l'annonce du résultat», croit savoir Sefertzis.

«Tsípras sinon rien». Même s'il ne s'y attendait pas, Tsípras aurait-il pu utiliser sa victoire au référendum pour aller au clash avec les créanciers ? La question divise les Grecs. Selon l'histoire officielle, Tsípras aurait été confronté, de retour à Bruxelles, à un Wolfgang Schäuble (le ministre allemand des Finances) encore plus intransigeant et prêt à éjecter la Grèce de la zone euro, voire de l'Europe. Sauf que cette version a été corrigée mercredi par Vítor Constâncio, le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE), qui a admis dans une interview à l'agence Reuters, citée par la Tribune, que la menace d'expulsion de la Grèce de la zone euro «n'a jamais été lancée pour de vrai, car ce n'est pas légal».

Habitué aux coups tactiques, Tsípras a peut-être perdu la dernière manche du poker menteur, faute de cran face à des adversaires coriaces voire intimidants. «Nous avons hissé haut le drapeau grec dans toutes les capitales du monde», clamait encore cette semaine le leader de Syriza dans ses meetings, rappelant que ses prédécesseurs n'ont «jamais rien négocié, préférant baisser la tête face aux créanciers».

Les Grecs lui accorderont-ils une deuxième chance ? «C'est un peu "Tsípras sinon rien". La droite, on la connaît… Mais les gens qui voteront pour Tsípras le feront pour lui, en considérant qu'il a fait ce qu'il a pu. Pas pour Syriza, qui s'est noyé dans la débâcle», prédit l'ami d'enfance de l'énigmatique leader de la gauche grecque, qui, à 41 ans, peut penser que l'avenir dure longtemps.