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Libération
Reportage

La gauche de la gauche grecque désavouée

Quel avenir pour la Grèce ?dossier
Partisans d’une sortie de l’euro, les frondeurs d’Unité populaire n’ont pas engrangé les 3% de suffrages nécessaires pour entrer à la Vouli.
Au siège de son parti, dimanche soir, Alexis Tsipras triomphant devant une de ses affiches de campagne: «Demain, nous vaincrons». (Photo Lefteris Pitarakis. AP)
par Fabien Perrier, Correspondant à Athènes
publié le 21 septembre 2015 à 20h06

Des huées s'échappent de la tente de Syriza plantée en plein cœur d'Athènes, place des Pleureuses. En ce soir de résultats électoraux, Panayotis Lafazanis et Zoe Konstantopoulou viennent d'apparaître. Ces frondeurs ont quitté le parti de la gauche radicale le lendemain de la démission du Premier ministre, Aléxis Tsípras, le 20 août, pour former un front antimémorandaire : Unité populaire (UP). Les deux visages retransmis sur l'écran géant sont défaits. La stratégie de la scission est un échec. UP n'envoie aucun député à la Vouli, le Parlement hellénique. «La bonne nouvelle, c'est qu'on s'est débarrassé de ces insatisfaits permanents», clame un militant de Syriza dans l'assemblée. A quelques mètres de là, les anciens frères devenus ennemis font grise mine sous leur tente au fur et à mesure que tombent les résultats.

«Oxi». L'ambiance tranche avec celle, électrique, des jours précédents. Zoe Konstantopoulou, la présidente de la Vouli, avait enflammé la foule en dénonçant un Tsípras reniant ses promesses de campagne. Et son auditoire, où les jeunes dominaient, criait à tue-tête : «Oxi !» Les Grecs allaient-ils payer la dette ? «Non !» Aléxis Tsípras avait-il respecté les promesses de campagne faites par Syriza avant son arrivée au pouvoir, le 25 janvier ? «Non !» Et, surtout, l'ex-leader rassembleur de la gauche avait-il respecté le «oxi» de 61,31 % des Grecs le 5 juillet, lorsqu'il leur demandait de se prononcer sur les mesures des créanciers ? Le «non» redoublait. L'échec est d'autant plus dur à supporter.

Dans les locaux d'Unité populaire, les lendemains déchantent. «Il aurait fallu que nous affrontions ces bêtes sauvages en trois semaines», explique à Libération Panayotis Lafazanis. Pour lui, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, «UP avait comme adversaire des forces qui s'opposaient à tout changement». Campagne éclair et adversité ont donc privé Unité populaire des 7 000 voix manquantes pour obtenir les 3 % nécessaires à l'entrée au Parlement. Sur fond d'abstention, un réflexe a guidé les électeurs : celui du vote utile. Ce que confirme Giorgos Tzogopoulos, chercheur au centre Eliamep : «Certains qui pouvaient voter UP pour les thèmes que ce parti portait ont préféré voter Syriza de peur que, sinon, Nouvelle Démocratie [droite, ndlr] l'emporte.»

Reste qu'en Grèce, les thèmes développés par UP ne recueillent pas l'assentiment populaire. «Si nous avons eu du mal à expliquer notre vision de la sortie de l'euro, nous avons mis cette question au cœur des débats», déclare Panayotis Lafazanis. La porte de son bureau s'ouvre dans un courant d'air : «Nous sommes ouverts aux idées du futur», s'amuse-t-il. Mais, pour le chercheur, «un grand nombre de leaders d'UP font partie de la vielle garde». Unité populaire compte en effet d'anciens membres du PC grec partis au début des années 90. Panayotis Lafazanis ou Costas Isychos sont de ceux-là. Leur discours paraît désuet à une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans ce «programme radical antiaustérité à horizon socialiste», comme le définit Panayotis Lafazanis.

Sortie. C'est sans doute la question de la monnaie qui cristallise cette divergence d'analyse entre ce front antiaustérité, qui rappelle le Syriza d'avant janvier, et la population. «Leur idée du retour à la drachme ne passe pas», décrypte Giorgos Tzogopoulos. Panayotis Lafazanis n'en démord toutefois pas : Aléxis Tsípras «a trahi les aspirations» du peuple en refusant d'envisager un scénario de sortie. «La société a une vision différente de celle de certains membres du parti, leur drame n'est pas celui que vit la société», répond Olga Athaniti, représentante de Syriza au Parti de la gauche européenne (PGE).

«Non seulement, il n'y a pas d'adhésion à leur discours, mais, en plus, ils auraient dû quitter le pouvoir plus tôt», explique Yannis Androulidakis, journaliste à Kokkino, la radio de Syriza. En gardant jusqu'en juillet un pied dans le gouvernement, les radicaux paraissent avoir cautionné Tsípras, devenu leur cible tardivement, et n'avoir rien modifié au sein des institutions. Même Zoe Konstantopoulou, qui soulevait les foules lors des meetings, a échoué. Alors qu'elle obtenait 44 219 voix dans sa circonscription en janvier, elle n'en a eu que 8 892 dimanche. Finalement, la gauche radicale grecque peut-elle exister sans celui qui l'a ressuscitée ? Lui a fait un choix : composer avec la réalité européenne.