Il va falloir s'y faire : Aléxis Tsípras est de nouveau à la une de tous les médias de la planète et a pris de court ceux qui pensaient l'enterrer un peu vite. Sa large victoire aux élections de dimanche avec 35,4% des voix contredit tous les sondages, qui jusqu'au bout l'ont donné au coude à coude avec la droite, et prouve qu'en politique il vaut mieux parfois compter sur ses ennemis que sur ses amis. Car ce succès, le leader de la gauche grecque l'a remporté seul.
Son parti, Syriza, a en effet éclaté dès l’annonce de sa démission à la tête du gouvernement le 20 août alors que la frange la plus à gauche rompait pour créer une nouvelle formation, Unité populaire. Laquelle espérait incarner le «non» au référendum du 5 juillet sur l’austérité, mais essuie aujourd’hui un échec cuisant, en restant en dehors du nouveau Parlement avec moins de 3% des voix. Les anciens compagnons de route qui, pendant la campagne électorale, fustigeaient la soumission de Tsípras aux diktats des créanciers ont peut-être avant tout pâti d’un péché d’orgueil, en pensant que la victoire de Syriza en janvier était celle de la gauche grecque tout entière, qui arrivait alors pour la première fois au pouvoir.
Nouveau visage
Mauvaise lecture : Syriza, qui à la faveur de la crise est passé de moins de 5% en 2009 à 36% en janvier, devait avant tout son succès au charisme de son jeune leader qui a su incarner le nouveau visage de l'espoir. Les résultats du scrutin de dimanche sont également gênants pour Yanis Varoufakis, l'ex-ministre des Finances qui depuis plusieurs semaines se répand dans les médias internationaux en ironisant sur son «ami Alexis». Accueilli comme une star par Arnaud Montebourg, l'économiste un peu trop bavard, perd dans l'immédiat son statut de résistant aux réformes exigées par Bruxelles et se retrouve soudain démonétisé.
En revanche, Panos Kamenos, le leader des Grecs Indépendants (droite souverainiste et anti-austérité) remporte la mise, récompensé par sa fidélité indéfectible à Tsípras. Alors même que tous les sondages annonçaient la quasi-disparition de son parti, Kamenos n’a jamais changé de ligne continuant à soutenir le leader de la gauche. Résultat, son parti aura dix députés dans le prochain Parlement et sera à nouveau l’allié indispensable pour former un gouvernement en l’absence de majorité absolue pour Tsípras.
La droite n’a pas convaincu
Reste qu'en accordant une seconde chance au leader de la gauche, les Grecs envoient un message clair que les Européens devraient eux aussi méditer : c'est l'homme qui a «saigné face aux créanciers du pays» comme Tsípras l'a martelé pendant la campagne, que les électeurs ont choisi en lui offrant un score quasi équivalent à celui de janvier. Loin devant les conservateurs de Nouvelle démocratie qui n'ont pas su capitaliser sur l'échec de Tsípras à Bruxelles et ne dépassent pas leur score de janvier avec 28,09% des voix. La droite n'a pas réussi à convaincre un pays qui considère que le nouveau plan de réformes est imposé de l'extérieur et que seule la gauche peut en limiter les effets nocifs.
De manière significative, Tsípras a convaincu 14% des chômeurs grecs, lesquels n’ont été que 6% à voter pour Nouvelle démocratie.
C’est donc bien en refusant de dévier de sa ligne politique, malgré sa capitulation face aux créanciers que Tsípras a su convaincre les Grecs. Une leçon à méditer pour François Hollande, au plus bas dans les sondages depuis son virage social-libéral tout autant que pour Jean-Luc Mélenchon qui a soutenu les frondeurs de Syriza sans anticiper leur perte de crédibilité dans un pays qui refuse l’austérité mais préfère le général qui a mené la bataille aux lieutenants qui l’ont abandonné à la première défaite.
Tsípras peut-il pour autant changer la donne et promouvoir une autre politique ? L’adoption de réformes impopulaires par le Parlement dans les prochaines semaines risque de souligner à nouveau les limites de sa marge de manœuvre. Même si Tsípras a démontré sa surprenante capacité à rebondir. Il saura peut-être également atténuer les sacrifices exigés des Grecs en leur offrant plus de justice sociale et de transparence. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, la lutte contre la fraude fiscale a déjà incontestablement progressé, de manière inédite en Grèce.
Forte abstention
Reste quelques réserves que le Premier ministre grec devrait méditer. Tout d'abord son succès personnel consacre aussi sa solitude. La qualité des troupes n'est pas forcément à la hauteur de son chef. Et l'inertie du gouvernement pendant que Tsípras ferraillait avec Bruxelles en est le signe inquiétant. Provoquant notamment un certain chaos dans la gestion de la crise des migrants comme dans celle des postes vacants (20 000) dans les écoles qui ont conduit 274 établissements scolaires à rester fermés en cette rentrée 2015.
Par ailleurs, le fort taux d'abstention (45%) atténue l'ampleur de la victoire électorale. Le désenchantement des Grecs est réel et peut à tout moment se retourner contre le gouvernement. En profitant notamment aux néonazis d'Aube Dorée qui augmentent légèrement leur score, malgré l'inculpation de leurs leaders pour «participation à une organisation criminelle». Eux aussi ont réussi à séduire les chômeurs, au même niveau (14%) que Tsípras et se maintiennent au rang de troisième force au Parlement.
Hier soir, au centre d’Athènes, le héros du scrutin a savouré sa victoire en renouant avec les accents lyriques de janvier. Mais dès ce lundi, les difficultés commencent.