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Libération
Analyse

Abbas à l’ONU, le discours d’un raïs

De la fin des accords d’Oslo à sa démission, les hypothèses vont bon train sur ce que prépare le président palestinien pour le 30 septembre.
Mahmoud Abbas, en 2013. (Photo AP)
publié le 22 septembre 2015 à 19h16

Aune semaine du discours «historique» qu’il promet de prononcer le 30 septembre devant l’assemblée générale de l’ONU, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a entamé une tournée européenne passant par Paris, où il a été reçu mardi par François Hollande, et Moscou, où une rencontre avec Vladimir Poutine est prévue. Au cœur de ces entretiens : l’allocution du leader palestinien aux Nations unies. Selon ses proches, elle pourrait décoiffer le gratin de la diplomatie internationale réuni à New York.

D’après les versions circulant à Ramallah, dans les couloirs de la Moukhata - siège de l’Autorité palestinienne (AP) -, du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Abbas, qui fêtera bientôt son quatre-vingt-unième anniversaire, songerait à se retirer de la vie politique et il pourrait évoquer le sujet. Cette fois, il ne s’agirait donc plus d’une menace en l’air dans le genre «retenez-moi ou je m’en vais», mais d’une sérieuse possibilité.

Tremblement de terre

Certains laissent entendre qu'Abbas «lâchera une bombe» en proclamant la fin des accords de paix d'Oslo conclus avec Israël en septembre 1993. Un tremblement de terre qui marquerait la fin de l'AP (créée en 1994 pour les appliquer) ainsi que de tous les traités israélo-palestiniens à vocation économique et sociale ratifiés depuis lors. Une autre version circulant dans les milieux «bien informés» affirme que le «raïs» (président) se contentera de proclamer de manière symbolique la souveraineté de l'AP sur l'ensemble de la Cisjordanie (y compris la partie occupée par Israël) ainsi que sur Jérusalem-Est, les quartiers arabes de la ville sainte annexés par l'Etat hébreu.

A Jérusalem, les dirigeants israéliens feignent de ne pas prendre la menace au sérieux alors que les Renseignement militaires (Aman), le Mossad, et le Shabak (sûreté générale) planchent à plein-temps sur le sujet. «Abbas se tirerait une balle dans le pied en suspendant les accords d'Oslo ou en démantelant l'AP, car son peuple souffrirait plus que nous de cette décision», proclame le député Tzachi Hanegbi (Likoud, le parti de Nétanyahou), un membre influent de la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset. Qui poursuit : «Au lieu de faire courir ces bruits qui ne nous impressionnent pas, il ferait mieux d'interrompre sa campagne de diffamation visant à faire croire qu'Israël veut s'emparer de l'esplanade du Dôme du Rocher [le troisième lieu saint de l'islam, ndlr]. Car c'est à cause de la propagande mensongère de Ramallah que des violences éclatent de nouveau dans les rues de Jérusalem.»

Le raïs est-il décidé à couper les ponts avec Israël ? «Le problème avec lui, c'est que c'est un homme imprévisible et que ce qui semble certain aujourd'hui ne le sera plus demain, affirme Ohad Hemo, un spécialiste des questions palestiniennes. Ces dernières années, il a souvent menacé de s'en aller et de prendre des décisions "dramatiques" mais il ne l'a pas fait. Pourtant, cette fois, il semble vraiment fatigué. Et las. C'est peut-être le nœud de l'affaire.»

Dans les cercles dirigeants israéliens, il se dit qu’Abbas a rassuré les diplomates européens sur ses intentions et que celles-ci ne seraient pas aussi radicales que ce que laisse entendre son entourage. En outre, malgré ses menaces, le leader de l’AP garde un contact indirect avec Benyamin Nétanyahou, par l’intermédiaire du directeur du Shabak, qu’il reçoit régulièrement, et en envoyant des messages. Le dernier en date a été transmis il y a quinze jours par l’intermédiaire de l’ex-ministre centriste Meïr Shitrit, spécialement invité à Ramallah.

Porte-à-faux

Durant son séjour à Paris, plusieurs anciens ambassadeurs d'Israël en France ont également rencontré Abbas. Au micro de la radio Kol Israel, l'un d'entre eux a déclaré que la version dure du discours du raïs a bien été rédigée mais que le président palestinien «est prêt à en changer s'il entrevoit un espoir de paix». Il suffirait d'un geste de Benyamin Nétanyahou… Opposé au déclenchement d'une nouvelle intifada ainsi qu'aux violences qui se déroulent quotidiennement depuis une quinzaine de jours à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, Abbas ne peut pas se permettre de prononcer un discours insipide à l'ONU. Parce qu'il décevrait ses derniers fidèles et se retrouverait en porte-à-faux par rapport à une opinion palestinienne en voie de radicalisation faute de perspective de paix.

Selon un sondage publié lundi par le très sérieux Palestinian Center for Policy and Survey Research, 65 % des Palestiniens ne croient plus à l’éventualité d’une solution prévoyant deux Etats pour deux peuples, alors qu’ils n’étaient que 55 % en juin. Fort logiquement, le soutien au déclenchement d’une nouvelle intifada passe donc de 36 % il y trois mois à 42 % à la mi-septembre. En outre, la cote de popularité du raïs chute : 44 % en juin contre 38 % à la mi-septembre.

Deux tiers des Palestiniens (65 %) estiment qu’Abbas devrait s’effacer et 30 % lui voient comme successeur Marwan Barghouti, le leader de la deuxième intifada en Cisjordanie aujourd’hui détenu à perpétuité en Israël.

«Sur le dos du peuple»

Signe du désamour de la rue palestinienne envers Abbas et l’AP en général, les manifestations hostiles au pouvoir se multiplient en Cisjordanie. Mercredi dernier, dans le camp de réfugiés de Jénine, où le Hamas et le Jihad islamique règnent en maîtres, des milices armées ont affronté durant plusieurs heures les services de sécurité de l’AP qui tentaient de prendre le contrôle du terrain. Plusieurs personnes ont été blessées.

Trois jours plus tard, des centaines de civils ont défilé pour dénoncer la police de l'AP qui avait empêché des jeunes lanceurs de pierres de se rendre devant les points de passage vers Israël à l'occasion d'une «Journée de la colère» organisée le 18 septembre. A Bethléem, qui passe pourtant pour une ville calme, 300 à 400 jeunes ont attaqué le siège du soulta («pouvoir»). Les policiers ont tenté de les contenir en matraquant à tout va. Lorsqu'ils ont été débordés, leurs collègues cagoulés et habillés en civil ont ouvert le feu à balles réelles. «Abbas, chien des Américains et des Israéliens, quand est-ce que tu dégages ?» scandaient les lanceurs de pierres qui dénonçaient également les «pourris de l'AP» et «ceux qui s'engraissent sur le dos du peuple».

En montant à la tribune de l’assemblée générale de l’ONU, le raïs aura sans doute tous ses éléments en tête. Et il sera également conscient que la situation est bloquée puisque Nétanyahou n’envisage pas sérieusement une reprise du processus de paix. Encore moins le gel de la colonisation et le retrait des territoires occupés.

En juin, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en visite en Israël et dans les Territoires palestiniens, avait confirmé que la France prendrait une initiative à l’occasion de la prochaine assemblée générale de l’ONU. Un projet de résolution selon laquelle le Conseil de sécurité contraindrait les parties à conclure un accord de paix au bout de dix-huit mois de négociations ininterrompues.

A Jérusalem comme à Ramallah, personne n’a jamais cru sérieusement aux chances de cette initiative, mais peu importe : le Quai d’Orsay était persuadé qu’il fallait agir pour pallier les absences de la diplomatie américaine. Personne ne lui en fait le reproche. Or, trois mois plus tard, le blocage est tel et la situation si explosive que l’initiative française est passée aux oubliettes. En lieu et place, Paris proposera la création d’un groupe de contact chargé d’aider Israël et l’Autorité palestinienne à poursuivre le processus de paix. Un projet tellement fade qu’il n’engagera personne et ne résoudra rien.