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Libération
Reportage

«Je serai bien mieux en Autriche»

Dans un camp autrichien de réfugiés à proximité de la frontière slovène, la France ne fait pas rêver Afghans, Irakiens et Syriens.
publié le 22 septembre 2015 à 19h46

Sur la route qui les mène à l’Europe occidentale, rares sont les migrants à vouloir gagner la France au plus vite. Dans un camp de fortune, installé depuis trois jours sous la verrière d’une ancienne jardinerie désaffectée, à une demi-heure de la frontière slovène, les familles de Syriens se mêlent aux jeunes Afghans et aux Irakiens, le temps de reprendre des forces. La majorité des hommes sont penchés sur leur téléphone et demandent aux bénévoles de la Croix-Rouge de pouvoir passer des coups de fil à un proche perdu en Croatie, ou bien à la famille, dans les pays de destination ou d’origine.

Vu de la Styrie, cette région agricole autrichienne, personne ne veut aller en France. Thamer Batat, un chiite bon chic bon genre qui a fui Bagdad et qui rêve de poursuivre ses études d'art dramatique à Stockholm, n'a qu'une vague idée de l'Hexagone. Il connaît bien Paris et la tour Eiffel, mais «veut juste trouver la paix» dans le nord de l'Europe. Houssam, qui vient de Homs et rechigne à donner son nom de famille à cause de possibles représailles en Syrie, cite Disneyland et adore les footballeurs français. «Pourtant, c'est plus facile d'obtenir l'asile dans les autres pays», croit-il savoir. En Turquie, il a rencontré des humanitaires français, qui lui ont renvoyé une bonne image. Mais cela n'a pas suffi à le convaincre.

«Caricatures». Pour leur part, les Afghans, qui voyagent en groupe, évoquent des motifs religieux. Sur un ton de mépris, Freidoon Feizi, un sunnite qui a passé plusieurs années en Iran avant de vouloir gagner le Vieux Continent, explique par exemple que dans l'Hexagone, «on ne traite pas bien les étrangers». «J'ai lu dans beaucoup de journaux qu'en France, les gens n'acceptaient pas le fait que nous sommes des musulmans et que nos femmes portent le voile. On connaît des gens qui y habitent, mais ils ne sont pas heureux.»Selon son copain Abdul Hakim Sabery, les Français seraient des ennemis de l'islam : «En Afghanistan, il y a eu beaucoup de manifestations contre la publication des caricatures que vous avez faites de notre prophète. Sur la télévision afghane d'info en continu Tolonews, on a dit que la France était contre l'islam.»

Pays francophones. Les migrants évoquent aussi le chômage. «Nous sommes venus en Europe pour aider nos familles, dit Abdul Hakim Sabery. Donc il faut qu'on trouve un emploi rapidement. En Hollande, j'aurai plus de chance de travailler.» Contrairement à ses amis congolais et camerounais, avec qui il a quitté l'Afrique à pied, le Nigérian Alex John préfère, lui, déposer une demande d'asile en Autriche. Comme il a été serveur dans les pays francophones voisins du Nigeria, il parle pourtant couramment le français. «Il y a tant d'immigrés africains en France. C'est plus facile pour moi de rester ici et je pense que je serai bien mieux en Autriche, où il y a d'autres Nigérians.» 

Ces propos, Abdelakrim les comprend bien. Ce Marocain arrivé en Autriche il y a vingt ans sert de traducteur pour l'association Caritas ; il aide les migrants à rejoindre leur destination. «Je suis bien mieux ici qu'en France. Il y a très peu de Marocains en Autriche. Moi, je ne voudrais habiter en France pour rien au monde. J'ai cinq enfants et on n'a pas de problème de racisme car le Maroc, c'est très exotique pour les Autrichiens. La vie des Marocains en France, je ne l'envie pas. C'est normal que dans ce camp, personne ne songe à aller à Paris. A la limite, l'islam, pour la grande majorité, ce n'est même pas un sujet. Le choix, il est fait pour des raisons d'abord économiques et pragmatiques», explique-t-il. Et d'ajouter : «Tout le monde pense simplement qu'il y a plus de possibilités d'avoir la paix ailleurs.»