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Libération
Reportage

Ouagadougou en pleine confusion

Les habitants de la capitale burkinabée cherchent à reprendre le cours normal de leur vie, malgré le chaos qui règne toujours en ville.
Demonstrators shout slogans next to burning tyres in the Tampouy neighbourhood of Ouagadougou during a protest against a regional proposal to end the crisis in Burkina Faso on September 21, 2015, five days after a military coup. The proposed ECOWAS deal provides for presidential and parliamentary elections to be held by November 22 at the latest, but above all lifts the ban of candidates loyal to former president Blaise Compaore. AFP PHOTO / SIA KAMBOU
publié le 22 septembre 2015 à 11h25

Le Burkina Faso est-il sur le point de basculer dans un conflit armé ou le coup d’Etat est-il près d’échouer ? Lundi, la situation s’est subitement précipitée. Des colonnes de l’armée venues du nord, de l’ouest et de l’est du pays ont convergé vers la capitale, Ouagadougou, où la vie avait commencé à reprendre. Restées fidèles aux autorités de la transition, renversées jeudi par un coup d’Etat du général Diendéré, ces troupes réclament que les putschistes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) déposent les armes.

Les propositions de la mission de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) semblent avoir mis le feu aux poudres. Dimanche, la mission de médiation présente depuis vendredi dans la capitale burkinabée a annoncé un schéma de sortie de crise. Conduite par le chef d’Etat sénégalais, Macky Sall, président en exercice de la Cédéao, cette médiation a suggéré un retour des autorités de la transition, et des élections législatives et présidentielle au plus tard le 22 novembre - elles devaient initialement se tenir le 11 octobre.

Amnistie. En contrepartie, les putschistes, restés fidèles au président déchu, Blaise Compaoré, obtiendraient une amnistie pour les violences consécutives au coup d'Etat (10 morts et 113 blessés), et la réintégration pour les prochaines élections des candidats proches de Compaoré, renversé en octobre 2014 par une insurrection populaire. Ils en avaient été exclus pour avoir soutenu le président déchu, qui voulait modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat, après vingt-sept ans au pouvoir.

Des concessions bien trop lourdes pour de nombreux acteurs. Lundi, Cheriff Sy, le président du Conseil national de la transition (CNT), qui revendique la tête de l'exécutif depuis le coup d'Etat, a rejeté «en bloc les propositions de la Cédéao». Pour lui, elles sont «inacceptables. On ne va pas faire une prime à l'impunité. Ce n'est pas une bande de terroristes qui va nous imposer ses volontés». Et d'ajouter : «Nous sommes toujours dans une dynamique de résistance. Il n'y a pas de concession ou de négociation possible.»

Dans un entretien à RFI, le président de transition, Michel Kafando, s'est dit «très réservé» sur le projet de sortie de crise de la médiation ouest-africaine, à l'issue de discussions auxquelles il n'a pas été «associé». Même écho du côté du Balai citoyen, une organisation de la société civile en première ligne depuis l'insurrection de 2014, qui qualifie «d'accord honteux» la proposition de la Cédéao. Prudent, l'un des hauts responsables du Mouvement pour le peuple (MPP, l'un des partis favoris, pour les élections), s'est contenté de relever que «beaucoup de gens ne sont pas d'accord» et «certains points posent problème».

«Mécontentement». Pourtant, en ville, fini les pneus qui brûlent, les tirs de sommation des putschistes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et les cris des manifestants hostiles au coup d'Etat. Les voies étaient dégagées, lundi dans la matinée ; les marchés et de nombreux commerces avaient rouvert et certains Ouagalais sont allés au travail. Mais la colère demeure. «C'est honteux, de la part de la Cédéao, de faire des propositions pareilles. Comment peut-on laisser faire un coup d'Etat comme ça ? lançait ainsi Zacharia, enseignant. Il va falloir qu'on manifeste notre mécontentement. Ce n'est pas fini, ça ne peut pas s'achever ainsi.»

Plus discrètement, Pierre, un commerçant, invitait à la retenue : «Je ne suis pas d'accord avec la Cédéao, mais il y a trop de misère, la population est pauvre et il faut qu'on puisse travailler un peu. Je préfère qu'on prenne un peu de temps et qu'après les élections, on puisse juger ceux qui ont fait le coup d'Etat. Sinon, à ce rythme, nous-mêmes, la jeunesse, on va finir par s'entretuer. Je préfererais un apaisement et qu'on aille aux élections.» Awa, une vendeuse du marché de Gounghin, abondait : «Ça fait du bien que les manifestations s'arrêtent un peu. Les gens n'ont plus d'argent. Il faut travailler, sinon on n'a plus rien à manger.»

Finalement, il semble que l'armée ait choisi de prendre les choses en main. Lundi après-midi, les chefs d'Etat-major ont annoncé dans un communiqué que «toutes les forces armées nationales converg[ai]ent vers Ouagadougou dans le seul but de désarmer le Régiment de sécurité présidentielle sans effusion de sang». Ils ajoutent : «Nous leur demandons de déposer les armes et de se rendre au camp Sangoulé Lamizana [dans l'ouest de Ouagadougou, ndlr], et eux et leurs familles seront sécurisés.» Cheriff Sy a appelé la population à se réfugier chez soi. La ville s'est alors subitement vidée.