A l'ombre d'un arbre, ils sont assis sur des bancs en bois ou sur leurs motos. Il y a là «le Major» et ses «éléments» : «Bak Le Boss», «Libanais», «Commandant de l'aviation», «Delaware», «Omar le Diamant», «Copa» (un joueur de foot), et encore bien d'autres. Tous sont des jeunes hommes d'Hamdallaye, un quartier populaire de Ouagadougou, la capitale burkinabée.
Ils ont l'habitude de se rassembler le dimanche en pleine rue pour discuter et boire le thé. Ensemble, ils constituent un «grin», comme on appelle ces groupes informels de jeunes au Burkina Faso. Il a même un nom : «Massachussets», d'après le prestigieux Massachussets Institute of Technology (MIT). Karim sourit : «Parce que c'est le coin des savants.»
«Il n’y a rien, les banques sont fermées»
Mais depuis le coup d'Etat, la semaine dernière, le grin se rassemble tous les jours. La ville est bloquée par le coup d'Etat. Plus de travail, il ne reste qu'à boire le thé. «Financièrement, ça ne va pas», dit Soumaïla. «Demain, c'est la fête [de la «Tabaski», comme on appelle au Burkina la fête musulmane de l'Aïd el-Kebir, ndlr], mais on ne sait pas comment on va faire. Il n'y a rien, les banques sont fermées.» Moussa intervient : «Déjà, on ne fait plus qu'un repas par jour.» Un autre ajoute : «La majorité des Burkinabés vivent au jour le jour. Si tu ne sors pas, tu n'as pas d'argent».
Tous les jours, les membres du grin se redonnent les informations sur les événements, s'échangent des SMS, parlent de ce qu'ils ont vu en ville et écoutent la radio, l'oreillette du téléphone collée au tympan toute la journée. Ils écoutent RFI, mais aussi Radio Oméga. Cette dernière s'est rendue célèbre en continuant d'émettre pendant l'insurrection d'octobre 2014, qui a conduit à la chute du président Blaise Compaoré. Cette fois, elle a été coupée dès le jour de la prise d'otage du Président et de ses ministres par les putschistes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Ils ont brûlé les motos de ses journalistes. Mais «depuis avant-hier», elle émet à nouveau, se réjouit Soum.
La mystérieuse 108 FM
Quand les radios ont cessé d'émettre pendant les premiers jours du putsch, une mystérieuse «radio de la résistance» est apparue sur 108 FM. Elle a relayé les messages du président du Conseil national de la transition, Chérif Sy, qui appelait à la résistance. Et les conseils des organisations de la société civile, qui «donnaient rendez-vous, demandaient à ce qu'on barre les goudrons, et à ce qu'on se disperse sans chercher le combat», explique Soumaïla, qui a «manifesté, bien sûr».
Ce mercredi, les nouvelles sont bonnes. Les putschistes du RSP ont signé un accord avec les troupes loyalistes qui encerclent la capitale, et exigent leur reddition. La garde présidentielle accepte d’être cantonnée. Le président de transition, Michel Kafando, vient d’annoncer qu’il est de retour. Une médiation de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest est arrivée à Ouagadougou – pas moins de trois chefs d’Etat.
Tous attendent de voir ce qu'ils vont dire. Mais attention, prévient Karim, «si ce n'est pas favorable, on va ressortir, manifester et boycotter !» Le grin exige en chœur la dissolution du RSP, la garde présidentielle qui a conduit le putsch, mais aussi que les candidats proches du président déchu, Blaise Compaoré, ne puissent pas participer aux futures élections. Surtout, que le RSP ne bénéficie pas d'une amnistie pour son coup d'Etat. «Des innocents sont morts. A côté, deux jeunes ont été tués alors qu'ils étaient chez eux à boire le thé», soutient Moussa. «On a des amis qui sont tombés sur le front. On ne veut plus jamais entendre parler du RSP au Burkina.» Karim conclut : «Voilà, net !»